Le 23 mai dernier, un nouveau coup de théâtre s’est produit dans les locaux de l’Agence gabonaise de sécurité alimentaire (AGASA). L’administration a procédé au démantèlement de deux unités clandestines de production et de vente d’eau en sachet, installées entre le 5ème arrondissement de Libreville et la commune de Ntoum. Une opération dont le succès est à mettre à l’actif du commandant Guy Oscar Mapangou, par ailleurs directeur général adjoint de cette entité. A l’origine, c’est une interpellation du voisinage qui a mis le feu aux poudres et conduit les inspecteurs commis à cet effet à diligenter une mission inopinée sur le terrain révélant ainsi de graves manquements quant au traitement et au conditionnement respectif des marques d’eau pelliculée « Eau Wally » et « Eau Baraka » dans le Grand Libreville.
Le mobile d’une dérive procédurière
Hélas, ce qui aurait pu apparaître comme une action salutaire, de la part d’une institution à l’image encore fraîchement écornée par sa gestion catastrophique de l’affaire Foberd, face à l’ampleur des menaces de santé publique ; est curieusement devenu le mobile d’une dérive procédurière orchestrée semble-t-il par un « individu en mal de légitimité et de reconnaissance ». Le motif de cette discorde : la sortie médiatique du directeur général, Dr Jean Delors Biyogue Bi Ntougou qui désavouera l’opération de son collaborateur par voie de presse la qualifiant au passage d’initiative illégale et « cavalière » car menée en dehors de toute disposition administrative tenue de l’encadrer. Un revers de trop qui compromet en substance la réputation et l’efficacité de l’institution.

Quoique cette posture, loin de constituer un acte isolé, interroge en revanche l’envers du décor pour saisir le tableau de la crise dans une perspective de gestion proche des relations publiques. L’analyse des angles morts de cette communication externe est un outil d’aide à la décision et à l’amélioration ostensible du rôle stratégique du communicant, i. e., celui-ci ne peut jouer pleinement ce rôle et camper dans une fonction plus en adéquation avec la démonstration de sa contribution que s’il parvient à dépasser sa posture technique initiale. Le regard du communicant intervient à juste titre pour comprendre et analyser l’impact de la crise à la lumière des opportunités managériales et relationnelles qu’elles induisent pour l’atténuer durablement par la communication interne.
La communication interne, une fonction d’entreprise encore mal identifiée
La communication interne s’est développée avec les travaux de l’École des relations humaines d’Elton Mayo pour favoriser la transmission de consignes et d’informations journalières pendant la période industrielle. Elle suppose, en revanche, de promouvoir de nouvelles formes de gestion basées sur la valorisation du facteur humain, l’amélioration de l’environnement et du climat de travail (De Saint-Georgs, 2010 : 34). Au début des années 80, les entreprises réalisent l’importance de communiquer avec leurs ressources humaines admettant que cette vision permet d’atténuer les tensions sociales et d’envisager leurs espaces comme des lieux de vie où s’opèrent finalement le passage entre la direction du personnel et celle des ressources humaines. La communication cesse de devenir le moyen par lequel on gère exclusivement les outils ou le personnel pour devenir celui par lequel on développe les individualités, les carrières, les parcours, les talents et les compétences utiles en outre pour accompagner les changements qui interviennent dans l’entreprise en période difficile.
Au Gabon, la communication interne est loin d’être une fonction autonome à défaut d’être très faiblement identifiée et mal professionnalisée dans l’administration. C’est ce qui explique a priori sa relative maturité non seulement pour les raisons précitées mais encore face à l’impossibilité du service Communication et celui des Ressources humaines de l’AGASA à colliger une stratégie de communication interne de crise qui prend en considération la conscience des salariés face au casus belli que le directeur général et son adjoint maintiennent par position tranchée.
Le parallélisme des formes
Selon Roux-Dufort, la crise évolue selon deux natures d’approche ; l’une événementielle et l’autre processuelle. Ainsi, la crise de leadership de l’AGASA repose sur cette approche liminaire : elle n’intervient pas au moment de la découverte par les services compétents de ces deux unités clandestines malgré des installations jugées exécrables et vétustes. Mais, plutôt à l’issue d’une communication du directeur général, intervenue en réponse à cet événement, pour le désavouer publiquement par voie de presse – douchant au passage les retours d’opinion positifs des consommateurs.

La médiatisation de l’inspection sanitaire supervisée par le commandant Guy Oscar Mapangou et la focalisation sur sa personne donne le ton au développement d’une double riposte médiatique de désolidarisation, inversement. La première de nature réactive intervient par un communiqué de presse traditionnel en réponse à la spectacularisation liminaire par média télé interposé. Alors que la deuxième organise la communication dans une tournure défensive pour dédouaner la responsabilité de l’AGASA dans un acte manifestement « isolé » aux fins d’en reprendre la main.

Cette opération de relations publiques constitue donc un aveu d’échec du point de vue de la gestion de sa couverture médiatique par la direction générale ! Idem pour la stratégie de riposte défensive basée sur l’absence d’autorisation administrative ou de conformité aux protocoles des textes communautaires (CEEAC, CEBEVIRHA) et nationaux. En situation de crise, « la réalité de l’événement s’efface devant la perception et les diverses représentations des parties prenantes (Libaert, 2005 : 9) ». Quoi qu’il en soit le décalage de perception ne joue jamais en faveur de l’organisation sauf à impacter le personnel. Dans le cas de l’AGASA, il met à nu les écarts critiques de gestion managériale et relationnelle interne au climat de travail ainsi que les tensions, en creux, d’une crise de leadership qui affecte leur motivation et leur cohésion en l’absence de toute communication interne de crise véritable.
Le management de la communication interne de crise
Nous sommes d’accord de dire que la communication du Dr Jean Delors Biyogue Bi Ntougou est passée d’une riposte réactive à une autre plus défensive, entraînant dans son sillage un cycle de tensions persistantes qui affecte pareillement la qualité, l’organisation et le fonctionnement de la direction générale. La médiatisation des problèmes humains est un facteur de risque accru : d’une part, il accroît l’intérêt médiatique des salariés et des syndicats pour le conflit social ; et favorise l’émergence d’une suspicion de responsabilité sur l’organisation, d’autre part. Les employés subissent les conséquences d’une crise externe qui a des relents sur la qualité de leur productivité interne. Le rôle de la communication permet aux managers d’exercer un management participatif et de recréer les conditions d’une ambiance interne conviviale. A défaut, les salariés et les syndicats conscients de l’intérêt médiatique de la crise n’auront pas d’autre choix que celui d’exiger l’appel à la démission des salariés clés, comme l’illustre la revendication du personnel en l’encontre de son directeur général.
Recommandations
• Établir la ligne de presse interne aux employés ;
• Élaborer des axes de communication par thème et par action diffusée à l’ensemble de l’encadrement (dossier de presse, visuels, etc.,).
Stéphane Franck N. Mendome
Consultant en Stratégies de Communication Globale