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Déguerpissement de Plaine-Orety : entre indignation et interrogations

le coup de coeur

Dans le quartier populaire de Plaine-Orety, situé à proximité du centre-ville de Libreville, les bulldozers ont fait irruption dès l’aube du dimanche 2 juin dernier, marquant le début d’un déguerpissement massif ordonné par les autorités. L’opération s’est poursuivie jusqu’au lundi 3 juin, laissant des dizaines de familles sans abri, leurs maisons réduites à l’état de gravats. Officiellement, il s’agit de libérer l’espace pour construire la future Cité administrative de l’État et le Boulevard de la Transition, deux projets structurants inscrits dans la transformation urbaine de la capitale. Mais sur le terrain, c’est la stupeur, la colère et un sentiment d’abandon qui dominent.

Un projet d’État, une exécution brutale

Dès l’arrivée des pelleteuses, accompagnées de forces de sécurité, les habitants ont été contraints de quitter précipitamment leurs logements. Certains ont eu tout juste le temps de récupérer quelques effets personnels avant que les murs ne s’écroulent. La scène, selon plusieurs témoins, ressemblait davantage à une opération militaire qu’à un processus civil encadré. « Ils sont venus sans prévenir, un dimanche matin. On a entendu les engins, et quelques minutes plus tard, notre maison était en miettes », raconte André M., habitant du quartier depuis 1994.

Ici, un bulldozer procédant à la démolition des maisons au quartier Plaine-Orety. © D.R

Officiellement, les autorités affirment que le processus de déguerpissement a été entamé depuis 2014, avec des recensements et des notifications. Mais beaucoup sur place affirment le contraire, dénonçant une action soudaine, menée sans dialogue ni alternative. Surtout que les autorités n’ont pas eu le réflexe administratif de publier la liste des indemnisés, de celle des maisons concernés par le déguerpissement qui n’avaient pas encore été indemnisés. A cela il faut ajouter l’absence d’une communication sur la date du déguerpissement. 

Des familles sans recours, ni toit ni aide

Le déguerpissement a concerné une large zone habitée depuis plusieurs décennies. Parmi les sinistrés, des femmes enceintes, des enfants en pleine année scolaire, des personnes âgées – tous désormais sans abri. « Nous n’avons reçu ni papier, ni indemnisation. Et encore moins une solution de relogement. On nous a juste dit de partir », déplore une mère de trois enfants devenue sans abris.

De nombreuses maisons détruites à Plaine-Orety par des engins envoyés par le ministère gabonais des Travaux publics. © D.R

D’autres évoquent de vieilles promesses de relogement à Bikele, jamais tenues. « En 2020, on nous avait parlé de logements sociaux. Rien n’est venu. Aujourd’hui, même les murs où on s’abritait ne sont plus là », ajoute-t-elle. Les opérations n’ont été accompagnées d’aucun dispositif humanitaire ou social visible, renforçant le sentiment d’abandon. Dans l’urgence, certains se sont repliés chez des proches, d’autres dorment à la belle étoile ou sous des bâches de fortune.

Une fracture de plus entre État et citoyens

Du côté du gouvernement, le message est clair : pour transformer Libreville et maîtriser l’occupation anarchique du sol, il faut agir rapidement. Le ministre des Travaux publics et de la Construction, Edgard Moukoumbi, a salué une « étape décisive vers un Gabon moderne ». Les propos s’appuient sur une décision et des résolutions prises sous le régime dirigé par Ali Bongo Ondimba. Le ministre a récemment tenté d’être rassurant. « Chaque famille concernée sera accompagnée avec dignité et transparence », a-t-il affirmé. 

Mais sur le terrain, cette modernité a un goût amer. Pour beaucoup de Gabonais, le ministre a fait du « médecin après la mort« . Car cette modernité mise en avant par les autorités de la Ve République s’écrit au prix d’une exclusion brutale, où les plus pauvres paient le prix fort. « On ne peut pas parler de transition, de rupture, et en même temps raser des maisons comme si les gens n’existaient pas », dénonce un jeune habitant du quartier. À l’heure où le pays affirme tourner la page des pratiques du passé, ce déguerpissement ravive la fracture entre l’État et ses citoyens, et pose une question de fond : peut-on parler de progrès quand il est imposé dans la violence et le silence ?

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