Si l’arrivée de Karpowership au Gabon a suscité de vives interrogations, l’autre acteur majeur du secteur, Aggreko, n’a pas dit son dernier mot. Cette entreprise britannique, spécialisée dans la fourniture d’énergie temporaire, est présente au Gabon depuis plusieurs années et continue de jouer un rôle clé dans l’équilibre du réseau électrique national. Depuis son implantation, Aggreko a déjà coûté des dizaines de milliards de fcfa à l’État gabonais pour ses solutions de génération d’électricité. Rien qu’en 2023, l’entreprise a facturé environ 42 milliards de fcfa en prestations.
L’arrivée de Karpowership aurait pu rebattre les cartes, mais au lieu d’écarter Aggreko, elle a instauré une concurrence plus subtile. Le contrat initial de Karpowership, fixé à 15 milliards de fcfa par mois pour une durée de 20 ans, avait suscité une levée de boucliers. Face aux critiques, les autorités de la transition, via CTRI News, ont réajusté la communication en annonçant que le montant officiel serait de 1,8 milliard de fcfa par mois, sans compter le coût du fioul lourd, qui reste à la charge de l’État gabonais. Or, selon des estimations basées sur les coûts internationaux du fioul lourd, la facture réelle pourrait atteindre 6 milliards de fcfa par mois, voire plus.
Le choix entre Aggreko et Karpowership repose sur une opposition de modèles économiques. Aggreko, avec ses solutions modulables, offre une souplesse qui a permis d’ajuster la production électrique en fonction des besoins. En revanche, Karpowership, avec ses centrales flottantes, repose sur une logique de fourniture massive et continue, ce qui entraîne un coût d’exploitation plus élevé, mais un meilleur rendement. À titre de comparaison, la Côte d’Ivoire, qui utilise des infrastructures similaires, dépense en moyenne 5,5 milliards de fcfa par mois pour assurer une production de 150 MW, un coût largement inférieur à ce que paierait le Gabon.
Les récentes discussions entre le gouvernement gabonais et Aggreko indiquent que l’État ne souhaite pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Lors de la rencontre du 20 février 2025, le Président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, a reçu une délégation d’Aggreko conduite par Édith Kikonyogo, directrice Afrique. Officiellement, il s’agissait de renforcer la capacité du réseau électrique et d’assurer une meilleure stabilité du courant. Mais en coulisses, cette réunion visait surtout à préserver la place d’Aggreko dans l’échiquier énergétique gabonais.
Avec un secteur énergétique stratégique en pleine reconfiguration, la question qui se pose est de savoir qui, d’Aggreko ou de Karpowership, prendra le dessus. Si le Gabon continue à supporter des coûts énergétiques aussi élevés, l’avenir de la production d’électricité pourrait bien devenir un fardeau financier insoutenable pour l’État, qui souhaite dans le même temps se déployer dans d’autres projets structurants. Quoi qu’il en soit, cette bataille discrète, mais coûteuse, entre ces deux géants de l’énergie, ne fait que commencer.