Il était tard lorsque Harold Leckat, directeur de publication de Gabon Media Time (GMT), quitta l’aéroport de Montpellier le mercredi 15 octobre 2025, le sac chargé de notes prises lors d’une formation dispensée par Médias & Démocratie, la tête pleine d’idées pour renforcer la couverture médiatique indépendante au Gabon. Cinq jours plus tard, le voilà qui dort à la prison centrale de Libreville (Sans-famille). Entre les deux, une descente manu militari à l’aéroport, une garde à vue à la Direction générale des Recherches (DGR), une convocation dont les motifs restaient flous, et finalement un mandat de dépôt prononcé par un juge d’instruction. La trajectoire ressemble à un trajet de retour détourné, non vers la maison où l’attendait son épouse et ses enfants, mais vers une cellule qui pose la question essentielle : quelle République voulons‑nous ?
Du commercial au pénal
Il y a, dans ce dossier, une étrangeté procédurale qui en dit long. Un litige commercial entre une agence privée de communication (Global Media Time) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), qui relève du Tribunal de commerce, mais qui devient soudain l’objet d’une enquête pénale conduite par des services d’enquête d’État et instruite par un juge. Le directeur de publication de Gabon Media Time, média édité par l’agence de communication Global Media Time, serait mis en cause pour « détournement de deniers publics », alors qu’il n’est pas gestionnaire des fonds publics mis en cause.

Lorsqu’un prestataire privé produit sa facture et évalue son travail, peut-on lui reprocher d’être trop cher ? Si sa prestation n’est pas à la hauteur du montant de la prestation, n’est-ce pas à la CDC de réévaluer le contrat et d’envisager une baisse du montant ou une rupture de contrat ? A quel moment en arrive-t-on à une incarcération à la prison centrale ?
Dysfonctionnement, erreur ou instrumentalisation ?
Les avocats avaient pourtant donné des garanties à la DGR pour la présence de leur client à leur convocation, pour autant la mise en scène judiciaire a pris le pas sur la logique procédurale. Est‑ce un dysfonctionnement, une erreur, ou une instrumentalisation ? Quand la justice se confond avec l’exécutif, la démocratie vacille. Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, nous rappelle que « la liberté de la presse est la sentinelle de la démocratie » ; sentinelle qui doit être libre pour voir et dire.

Dans le même esprit, Chinua Achebe écrivait que « l’homme qui découpe le tissu social s’attaque d’abord à la parole de ceux qui disent la vérité ». Interroger aujourd’hui la procédure qui frappe Harold Leckat n’est donc pas un caprice d’intellectuels ou de journalistes : c’est une défense de l’espace public, de la parole qui dérange le pouvoir.
La presse nationale dénonce une cabale politico-judiciaire
Les associations de presse et la société civile l’ont immédiatement souligné. En effet, lors d’un point de presse donné lundi 20 octobre 2025 au siège de GMT, le Collectif des organisations de la presse, regroupant l’OPAM, l’UPF Section Gabon, le RENAJI, Media & Démocratie – Gabon, le représentant local de RSF et la CPPL, conduite par Désiré Enam et Yves Laurent Ngoma, a dénoncé « une cabale politico-judiciaire visant simplement à faire taire des voix libres et indépendantes ».
Le Collectif des organisations de la presse a parlé d’« acharnement » ; des juristes ont pointé l’incohérence des qualifications retenues. Ces alertes renvoient à une question centrale : la séparation des pouvoirs est‑elle encore plus qu’un principe théorique, un rempart réel contre l’arbitraire ? Si la justice devient l’outil pour discipliner les voix critiques, la Ve République perd son équilibre.
Peur d’une sentence judiciaire instrumentalisée
La démocratie n’est pas un mot creux inscrit au fronton des institutions. Elle se mesure à la capacité des citoyens et des médias à contrôler le pouvoir, à la transparence des procédures et à l’égalité de tous devant la loi. Nelson Mandela rappelait que « la presse est l’un des piliers de la démocratie », et qu’elle doit rester libre pour que la société puisse respirer.

Ici, la peur d’une sentence judiciaire instrumentalisée vaut moins que la nécessité d’un procès équitable et public qui rende des comptes à la nation entière. Si la loi est appliquée, qu’elle le soit sans sélectivité ; si des fautes ont été commises, qu’elles soient clairement établies et non utilisées comme prétextes.
Protéger l’ordre public
À ceux qui cherchent des raisons d’espérer, souvenons‑nous des mots d’un autre grand penseur africain : Ngũgĩ wa Thiong’o affirmait que « la parole libérée est une force qui transforme ». En enfermant une parole dissidente par des méthodes discutables, l’État ne protège pas l’ordre public : il mine la confiance des citoyens dans les institutions et appauvrit le débat national.
Il ne s’agit pas ici d’innocenter ou de condamner Harold avant procès, mais d’exiger la clarté, la proportionnalité et la régularité des procédures. La République ne se bâtit pas sur la peur des journalistes mais sur la force des arguments, la transparence des institutions et l’égalité devant la loi. Il ne s’agit pas ici d’innocenter ou de condamner Harold avant procès, mais d’exiger la clarté, la proportionnalité et la régularité des procédures. La République ne se bâtit pas sur la peur des journalistes mais sur la force des arguments, la transparence des institutions et l’égalité devant la loi.
Si nous tolérons aujourd’hui que le bâillon judiciaire frappe un directeur de publication pour des motifs opaques, nous acceptons demain que le même mécanisme serve à réduire au silence toute voix dissidente.
Ferdinand DEMBA, directeur de publication Inside News241
Chers lecteurs, la question n’est plus seulement judiciaire : elle est civique. Quelle Ve République voulons‑nous ? Une Ve République où la justice est indépendante, où la presse peut enquêter sans craindre la censure déguisée, où les contrats et les comptes sont traités conformément aux juridictions compétentes ? Ou une Ve République où la procédure devient arme, et où la dissidence est neutralisée sous prétexte d’enquête ? Choisir, c’est agir.
Et agir, aujourd’hui, c’est exiger que la loi soit dite, que la transparence prévale, et que la liberté de la presse, gardienne fragile de notre jeune démocratie, ne soit pas la proie d’un acharnement politique.
La nuit où Harold Leckat a été incarcéré, ce n’est pas seulement un homme ou un média qui ont été atteints : c’est la Ve République que nous avons en partage qui a été interrogée. Répondons‑lui.
Ferdinand DEMBA
Citoyen Gabonais
Directeur de publication du média Inside News241