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Gabon 2025 : vers une rupture réelle ou une illusion de renouveau ?

le coup de coeur

Dans une tribune exclusive parvenue à notre rédaction, Lyiane Neyer Kenga, analyste politique, estime que l’absence de partis dans l’élection présidentielle de 2025 est un choix stratégique, illustrant une volonté affichée de rompre avec l’emprise des élites politiques traditionnelles. En revanche, si elle reconnaît que l’élection présidentielle de 2025 constitue une opportunité unique pour repenser le modèle démocratique gabonais, l’analyste pense que l’avenir politique du Gabon dépendra de la capacité des nouveaux dirigeants à inscrire leur action dans une perspective de consolidation institutionnelle, plutôt que dans une gestion personnalisée du pouvoir. Lecture.

L’échéance présidentielle de 2025 au Gabon s’annonce comme un événement inédit dans l’histoire politique du pays. Pour la première fois, tous les candidats en lice se présentent sans l’étiquette d’un parti politique. Ce fait, en apparence anodin, suscite des interrogations majeures sur la trajectoire démocratique du Gabon et sur les mécanismes réels qui animent cette transformation.

Depuis son accession à l’indépendance le 17 août 1960, le Gabon a évolué sous l’emprise d’un pouvoir centralisé, façonné et verrouillé par le Parti Démocratique Gabonais (PDG). Érigé en parti unique sous Omar Bongo, il a ensuite survécu à l’instauration du multipartisme en 1990 sans jamais réellement céder du terrain.

Bien plus qu’une simple force politique, le PDG s’est imposé comme l’architecte d’un système où l’absence d’idéologie structurée a laissé place à une gestion du pouvoir fondée sur la cooptation et la corruption. Cette stratégie lui a permis d’étouffer toute opposition réelle, en finançant des partis politiques de façade, dépourvus de base militante, d’ancrage territorial et de vision programmatique, dont la seule fonction était de brouiller le jeu démocratique. Ce modèle, qui a perduré jusqu’à la chute d’Ali Bongo en 2023, a réduit le multipartisme à une illusion, entretenant un équilibre politique où le contrôle du pouvoir passait davantage par l’achat des consciences que par la confrontation des idées.

L’éviction d’Ali Bongo en août 2023, à la suite d’un coup d’État militaire, a été présentée comme une occasion de repenser les fondements de la gouvernance nationale. La transition orchestrée par le général Brice Clotaire Oligui Nguema devait impulser un modèle plus inclusif et transparent. L’absence de partis dans l’élection présidentielle de 2025 apparaît ainsi comme un choix stratégique, illustrant une volonté affichée de rompre avec l’emprise des élites politiques traditionnelles.

Bien que le retour au multipartisme ait été officialisé au début des années 1990, il n’a jamais été accompagné d’une véritable structuration idéologique. Contrairement à d’autres pays où les partis politiques incarnent des courants de pensée distincts — qu’il s’agisse de socialisme, de libéralisme ou de conservatisme — le Gabon a principalement vu émerger des formations dont la raison d’être se limitait à la contestation du régime en place.

Ainsi, des partis tels que le Parti Gabonais du Progrès (PGP), l’Union du Peuple Gabonais (UPG) ou encore le Congrès pour la Démocratie et la Justice (CDJ) ont, à leur apogée, représenté des alternatives crédibles au pouvoir en place. Toutefois, ils se sont davantage construits autour de figures emblématiques que sur des projets de société cohérents et pérennes. Avec la disparition ou l’affaiblissement de leurs leaders, ces formations ont progressivement perdu en influence, révélant ainsi leur fragilité intrinsèque.

Ce manque de structuration idéologique a eu des conséquences lourdes : au lieu d’être un espace de confrontation des visions pour l’avenir du pays, la politique gabonaise s’est souvent réduite à une opposition entre individus, sans débats de fond sur les réformes nécessaires. Dans ce contexte, l’élection présidentielle de 2025, bien qu’inhabituelle dans sa forme, est avant tout le reflet d’un système où les partis politiques n’ont jamais véritablement assumé leur rôle.

L’uniformité des candidatures indépendantes pour cette présidentielle traduit une rupture nette avec le modèle partisan classique. Ce phénomène, qui dépasse le seul cadre gabonais, s’inscrit dans une dynamique plus large observée sur le continent africain, où la méfiance croissante envers les partis politiques favorise l’émergence de figures individuelles se revendiquant d’une gouvernance directe et décentralisée.

Toutefois, ce choix n’est pas sans soulever des interrogations. Sans structures politiques solides pour encadrer et porter des visions programmatiques claires, l’élection risque de se jouer davantage sur la notoriété des candidats et leur capacité à capter l’attention médiatique, plutôt que sur des propositions tangibles de réforme.

Si une élection sans partis peut apparaître comme une avancée aux yeux de nombreux citoyens lassés des jeux d’appareil, elle comporte également des risques non négligeables. L’un des défis majeurs réside dans la concentration potentielle du pouvoir entre les mains d’un dirigeant unique, sans contrepoids institutionnel efficace.

Par ailleurs, l’absence de formations structurées soulève une question fondamentale : comment garantir une stabilité politique si les élus ne s’appuient sur aucun cadre organisationnel pour mettre en œuvre leurs réformes ? L’expérience d’autres nations africaines ayant traversé des périodes de transition similaires montre que, sans institutions solides, les changements de régime se limitent souvent à des ajustements superficiels, tandis que les anciennes pratiques clientélistes persistent sous de nouvelles formes.

L’élection présidentielle de 2025 constitue une opportunité unique pour repenser le modèle démocratique gabonais. Toutefois, pour que cette transition soit réellement porteuse de renouveau, il est impératif de poser les bases d’un État de droit renforcé, où les mécanismes de contrôle du pouvoir sont effectifs et où l’action publique est guidée par des principes clairs et transparents.

Le Gabon est à un carrefour historique. Pour éviter de reproduire les erreurs du passé, il est essentiel que la dynamique actuelle ne se limite pas à un simple changement de figures, mais qu’elle débouche sur une transformation institutionnelle en profondeur. Si cette opportunité est manquée, le pays risque de voir émerger un nouveau cycle politique dominé par les mêmes logiques, mais sous un habillage différent.

L’avenir politique du Gabon dépendra donc de la capacité des nouveaux dirigeants à inscrire leur action dans une perspective de consolidation institutionnelle, plutôt que dans une gestion personnalisée du pouvoir. Cette élection sera-t-elle le prélude à un véritable renouveau démocratique ou un simple ajustement du système existant ? Seul le temps le dira.

Par Lyiane Neyer Kenga, 

Analyste Politique

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