En 1996, le Gabon s’était doté d’un outil rare en Afrique centrale : une étude prospective pour planifier son développement à l’horizon 2025. Quatre scénarios, dont celui de l’Écureuil (le seul vertueux), avaient été imaginés. Pourtant, à la lecture du rapport Gabon 2050, le constat est brutal. « La situation du Gabon n’a pas suffisamment évolué depuis cette année. Elle s’est même dégradée dans de nombreux domaines ». Trente ans de discours, zéro transformation. Le plus inquiétant est que ce constat ne suscite ni scandale national, ni remise en cause institutionnelle profonde. On s’habitue, au Gabon, à voir les ambitions mourir à petit feu.
Le scénario de l’Écureuil, choisi comme modèle, prévoyait un « Gabon industriel avec une démocratie fonctionnelle ». Pourtant, le pays est resté bloqué dans un cycle de rente, de gouvernance opaque et de dépendance aux hydrocarbures. Pire, il a flirté avec les pires hypothèses évoquées dans le rapport : « un Gabon devenu une dictature militaire » (scénario des Requins) et « un État autocratique rejeté par ses partenaires » (scénario de la Panthère). On a donc glissé vers le pire scénario sans le dire, sans l’assumer, sans même l’expliquer à la population. Comme si ce glissement faisait partie du paysage naturel du pouvoir.
L’ironie du sort, c’est que l’alternance politique tant espérée est finalement venue en août 2023… par un coup d’État. Le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI) a mis fin à 56 ans de pouvoir PDG. Mais ce bouleversement est-il le fruit du projet stratégique Gabon 2025 ? Non. Il est plutôt le symptôme d’un échec à canaliser démocratiquement les aspirations du peuple. Une transition née dans l’urgence trahit une planification morte depuis longtemps. Ce que le débat électoral n’a pas réussi à changer, l’armée l’a balayé en une nuit.
On aurait pu attendre du Gabon qu’il anticipe ses réformes. Au lieu de cela, le pays s’est enfermé dans « une économie de rente », « une faible participation des femmes et des jeunes », et « une mauvaise gouvernance ». Des mots écrits en 1996… et toujours valables en 2024. Le choc n’est pas seulement institutionnel, il est générationnel : le futur rêvé est devenu un passé encombrant. Ce qui devait être une base pour aller de l’avant est devenu un poids dont plus personne ne parle à haute voix.
Finalement, ce document Gabon 2050 est bien plus un miroir qu’un guide. Il montre que l’État gabonais sait poser les bonnes questions, sans jamais répondre avec cohérence. À l’heure où une nouvelle constitution vient d’être adoptée (2024) et où le pays se dirige vers des élections cruciales en 2025 notamment les législatives et locales, il serait temps d’apprendre enfin des plans que l’on a soi-même élaborés.