En quelques semaines à peine et alors que son président directeur général n’est autre que l’actuel ministre de l’Économie, Henri Claude Oyima, BGFIBank s’est imposée comme le financeur incontournable des grands chantiers publics au Gabon. Des routes nationales stratégiques comme Alembe–Mikouyi ou Ntoum-Cocobeach (240 milliards de fcfa au total) au renforcement des réseaux de base via la SEEG (100 milliards de fcfa), en passant par le très attendu aéroport d’Andem (partie prenante d’un financement de 190 milliards de fcfa), la banque semble désormais indissociable de la mise en œuvre des grands projets d’infrastructure.
Si cette omniprésence témoigne d’une capacité financière et d’une proximité politique certaines, elle interroge également sur l’état de la concurrence bancaire dans le pays. Il faut dire que la multiplication des projets estampillés BGFIBank s’accompagne d’un schéma de financement de plus en plus concentré, qui laisse peu de place aux autres acteurs bancaires.
Loin d’un marché ouvert et équilibré, le Gabon semble évoluer vers un modèle dans lequel un acteur financier unique devient à la fois architecte, bailleur et parfois même conseil des projets structurants. À moyen terme, cela pose un problème de pluralisme économique et de transparence, notamment sur les conditions réelles des prêts, les appels d’offres, et les éventuelles contreparties institutionnelles.
Autre motif d’interrogation : le flou autour des mécanismes de contrôle. Qui évaluera véritablement la performance des chantiers financés par BGFIBank ? Sur les projets comme Ntoum–Cocobeach, les délais d’exécution et le coût du km restent flous, tout comme la traçabilité des fonds utilisés. La situation est d’autant plus préoccupante que certains projets s’étendent sur des zones écologiquement sensibles (réserve de la Lopé, mangroves littorales), sans que des garanties environnementales claires ne soient systématiquement rendues publiques.
A l’heure des grands changements, il faut aussi s’interroger sur la logique qui guide le choix des projets financés. En s’alignant quasi systématiquement sur les priorités de l’État, la banque court le risque de devenir un prolongement technocratique du pouvoir exécutif, au lieu d’être un acteur autonome capable de proposer des alternatives crédibles. Le financement massif de l’aéroport d’Andem, dans un contexte de tensions sociales, de besoins en santé et en éducation mal couverts, en est un parfait exemple. BGFIBank n’est pas à condamner pour sa puissance ni pour son engagement financier. Mais son omniprésence en ce début de Ve République mérite un véritable débat public.
À défaut d’un encadrement clair, elle pourrait vite glisser vers une forme de monopolisation douce, avec les risques que cela comporte pour la transparence des comptes publics, la régulation bancaire, et la souveraineté des choix de développement. Dans une économie encore fragile et dépendante, diversifier les sources de financement n’est pas un luxe : c’est une nécessité.