Censée poser les jalons d’une souveraineté alimentaire retrouvée, l’interdiction progressive des importations de poulets de chair d’ici à 2027 au Gabon apparaît de plus en plus comme une mesure partielle, sinon symbolique. Si le gouvernement affirme vouloir réduire la dépendance aux importations et encourager la production locale, il reste étonnamment silencieux sur le revers de la médaille : la domination massive du marché par les poulets surgelés bas de gamme, vendus à bas prix et omniprésents dans les congélateurs des marchés urbains. En ciblant uniquement les poulets importés, le gouvernement laisse intact l’essentiel du problème : l’importation incontrôlée de morceaux congelés.
C’est un fait avéré. Ailes, pilons, cous, dos, continuent de se tailler la part du lion dans les habitudes alimentaires des ménages. Ce paradoxe est d’autant plus frappant que les poulets de chair entiers ne représentent qu’un segment mineur du marché gabonais au vu de leurs coûts, comme le reconnaissent, en off, plusieurs acteurs du secteur avicole. Faute de données officielles actualisées sur la consommation nationale, il est difficile de chiffrer précisément leur part, mais les observations de terrain sont sans appel.
Dans les foyers modestes, on ne consomme pas de poulet entier. On achète des cartons de pilons surgelés à 10000 fcfa, en provenance de France, du Brésil, d’Ukraine ou de Pologne. Ces produits, souvent issus des invendus européens, sont bradés sur les marchés gabonais et constituent la colonne vertébrale de la consommation populaire. Les poulets surgelés se la coulent douce, intouchables, pendant que les mesures gouvernementales se contentent de jouer sur un registre politique.

Le rapport publié en octobre 2022 par les ONG Greenpeace France, Oxfam et Réseau Action Climat confirme cette réalité. La France, à elle seule, exporte vers l’Afrique des tonnes de produits alimentaires « très bas de gamme », dont la volaille congelée constitue une part importante. Le Gabon absorbe 11% de ces exportations, se positionnant comme le troisième consommateur africain de ces produits, derrière le Bénin et le Congo. Le tout dans une relative indifférence politique.
Le gouvernement n’a, à ce jour, annoncé aucune mesure de restriction, de contrôle qualité, ni de régulation sur ces importations de masse, qui échappent souvent aux radars réglementaires. Le risque est donc réel : pendant que le pays construit six méga-fermes pour produire localement du poulet entier, le consommateur, lui, continuera d’acheter ses sachets de pilons congelés à bas coût, faute d’alternative crédible.
Ce silence stratégique traduit une limite politique et économique. Réguler les importations de poulet surgelé bas de gamme, c’est prendre le risque de froisser des intérêts commerciaux puissants, mais aussi de heurter une frange large de la population qui ne peut pas se permettre d’acheter de la volaille locale, plus chère, plus fraîche, mais encore absente des étals. C’est aussi toucher à un système d’approvisionnement bien rodé, qui approvisionne les marchés urbains, les petits restaurants, les cantines scolaires et les familles à revenu instable.