C’est une question qui mérite d’être posée, et surtout d’être creusée. Chaque mois, des milliers de Gabonais paient leurs factures d’électricité et d’eau avec l’espoir d’avoir un service stable et fiable. Pourtant, la réalité est tout autre : coupures incessantes, réseaux vieillissants, accès à l’eau potable toujours problématique. En 2023 selon le tableau de bord de l’économie, le chiffre d’affaires du secteur s’est élevé à 234,9 milliards de fcfa, dont 205,9 milliards fcfa pour l’électricité et 22 milliards fcfa pour l’eau. Des sommes colossales. Mais alors, si autant d’argent est collecté, pourquoi le service rendu est-il aussi médiocre ? Où va cet argent ?
L’un des premiers postes de dépenses de ce secteur, c’est la masse salariale. En 2023, elle a atteint 55,6 milliards de fcfa, en hausse de 10,2% par rapport à 2022. En clair, plus d’un quart des revenus générés sert à payer les salaires. Dans le même temps, les effectifs ont augmenté de 6,2%, passant de 2 499 à 2 655 agents. Plus de monde, plus de salaires, mais une question se pose : est-ce que ces recrutements améliorent réellement le service ? Rien n’est moins sûr. Pendant que les factures augmentent, les Gabonais subissent toujours les mêmes problèmes : coupures prolongées, faible pression d’eau, infrastructures vétustes. L’argent collecté permet-il réellement d’améliorer le service, ou finance-t-il surtout des charges de fonctionnement lourdes et inefficaces ?
Des investissements en forte hausse, mais avec quels résultats ?
En parallèle, les investissements ont explosé : 41,6 milliards de fcfa investis en 2023, soit une hausse de 80,5%. Officiellement, ces fonds ont été injectés dans la réhabilitation de centrales thermiques, l’achat d’équipements et la construction de nouvelles infrastructures. Mais lorsque les populations voient la dégradation des services et les nombreuses coupures d’électricité, elles sont en droit de se demander : ces investissements sont-ils bien utilisés ? Où sont les résultats concrets ? Pourquoi les réseaux de distribution restent-ils aussi défaillants ? Pourquoi autant de pertes en ligne ?
Prenons l’exemple de l’eau : en 2023, 45% de la production a été perdue à cause des fuites sur le réseau. Pratiquement la moitié de l’eau produite ne parvient même pas aux consommateurs qui sont obligs d’acheter une eau de moindre qualité auprès d’opérateus économiques improvisés. Comment justifier une telle inefficacité quand on investit des milliards dans le secteur ? Et ce problème ne date pas d’hier : année après année sous le régime d’Ali Bongo Ondimba, les pertes en eau restent abyssales, révélant une absence totale de stratégie de modernisation du réseau. Pendant ce temps, les Gabonais, surtout dans les quartiers populaires et en province, continuent de manquer d’eau. Certains doivent acheter des bidons d’eau à des prix exorbitants, d’autres se rabattent sur des sources non contrôlées, exposant la population à des risques sanitaires majeurs.
Du côté de l’électricité, la situation n’est guère plus reluisante. Alors que les ventes d’électricité ont baissé de 5,5% en 2023, les coupures restent fréquentes et imprévisibles, impactant aussi bien les ménages que les entreprises. La vétusté des infrastructures est un problème connu depuis des années, mais les solutions tardent à venir. On investit, mais les résultats concrets ne se font pas sentir. Où va réellement l’argent ? Est-il absorbé par des coûts opérationnels excessifs ? Mauvaise gestion ? Absence de contrôle sur les dépenses ? Ces questions restent en suspens, et pendant ce temps, les Gabonais continuent de subir un service largement en dessous des attentes. Les enquêtes en cours initiées par le Comité de transition pour la restauration des institutions apporteront des réponses à ces questions.
Une vulnérabilité inquiétante des infrastructures
Et comme si cela ne suffisait pas, le secteur fait aussi face à des problèmes de sécurité graves. Le CTRI a dénoncé récemment des actes de sabotage visant la centrale thermique d’Alenakiri. Un site aussi stratégique, qui alimente des milliers de foyers, devrait être protégé en priorité. Pourtant, il a été attaqué. Cela pose une question simple mais essentielle : où va l’argent, si même la sécurité des infrastructures n’est pas assurée ? Un budget de plusieurs centaines de milliards et pas de fonds alloués à la protection des installations vitales ? Ce type de faille révèle un sérieux problème de gouvernance.
Une refonte nécessaire de la gestion des ressources
Au final, l’analyse est claire : le secteur de l’eau et de l’électricité au Gabon génère énormément d’argent, mais la gestion de ces fonds pose question. Trop de charges de fonctionnement, des investissements qui peinent à produire des résultats, des pertes colossales sur le réseau, et des infrastructures vulnérables. Ce modèle économique ne fonctionne pas. Il est urgent d’apporter plus de transparence, de revoir la répartition des budgets et surtout de prioriser les dépenses. L’argent est là, mais la question demeure : est-il utilisé au bon endroit ?