La première édition du Gabon Economic Forum, tenue les 7 et 8 juillet à Libreville, a placé la barre haut : générer une croissance annuelle d’au moins 10%, dans un pays dont le rythme actuel plafonne à 2,5%. Si l’ambition est saluaire, la réalité impose de la mesurer au regard des fragilités structurelles du modèle économique gabonais. À la lecture des diagnostics partagés par les autorités, les acteurs du secteur privé et autres experts, le rêve d’une croissance à deux chiffres est moins un horizon immédiat qu’une trajectoire de long terme, nécessitant au moins trois décennies de cohérence, de discipline et de réformes continues.
Henri-Claude Oyima, ministre de l’Économie, n’a d’ailleurs pas maquillé les chiffres : PIB par habitant en recul, dette publique de 8567 milliards de fcfa, masse salariale en constante augmentation et qui devrait atteindre les 900 milliards de fcfa cette fin d’année, signature financière de l’État affaiblie, et inflation structurelle qui alimente la vie chère. Dans ces conditions, viser une croissance explosive revient à transformer radicalement le cadre économique, fiscal, budgétaire et institutionnel du pays.
Le ministre a lancé un appel à la lucidité. « La crédibilité ne se décrète pas. Elle se construit chaque jour, dans le respect des engagements, dans la sincérité des comptes publics », a-t-il déclaré. Et pour cause, le service de la dette absorbe des ressources colossales, alors même que la dette intérieure étranglée par des arriérés envers les fournisseurs (plus de 3279 milliards de fcfa), les caisses sociales (CPPF : 211 milliards de fcfa) ou les agents publics (rappels de soldes : 113 milliards de fcfa), empêche la relance de l’économie réelle. « Il faut arrêter de s’endetter pour rembourser la dette. C’est de la cavalerie budgétaire, et nous en payons le prix », a averti Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, directeur général de la dette. Pour lui, le recours systématique aux emprunts non productifs a conduit à une érosion de la capacité budgétaire, rendant l’État incapable de répondre aux besoins sociaux de base.
En parallèle, le climat des affaires reste miné par une fiscalité désordonnée, la prolifération de taxes parafiscales sans base légale, et l’insécurité juridique dénoncée par la FEG. « Il faut un environnement sain, sécurisé et équitable », a quant à lui rappelé Jean-Baptiste Bikalou, qui appelle à une concertation permanente État-secteur privé et à la suppression des initiatives fiscales improvisées. À cela s’ajoute la lenteur des réformes dans les entreprises publiques, dont plusieurs restent des centres de coûts opaques au lieu de jouer un rôle de levier stratégique.
Certes, des signaux de rupture existent : création de fonds sectoriels stratégiques, interdiction prochaine de l’importation de poulets de chair, blocage de l’exportation de manganèse brut d’ici 2029, ou encore règlement ponctuel de la première échéance de l’emprunt obligataire “EOG Multi-Tranches 2024–2030” pour 3,2 milliards de fcfa. Mais ces gestes, bien que positifs, restent insuffisants sans une réforme profonde des mécanismes de gouvernance, d’investissement public, et de pilotage budgétaire.
Atteindre 10% de croissance est possible, mais pas sans planification pluriannuelle, pas sans discipline budgétaire, pas sans justice fiscale, pas sans équité dans l’accès à la commande publique, pas sans transparence et surtout pas dans l’immédiat. Il faut une stratégie de 30 ans, déployée sur trois cycles présidentiels, avec des objectifs sectoriels clairs, des indicateurs de performance vérifiables et une gouvernance indépendante du cycle électoral.