Il y a quelques jours, le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema remettait au Premier ministre Raymond Ndong Sima la version finale du nouveau projet de constitution qui sera soumis au référendum le 16 novembre prochain pour être adopté. Si la première version du document avait suscité de vives réactions des populations et des analystes politiques, la dernière est moins encline à faire débat même si quelques interrogations subsistent, notamment sur l’article 170 du texte.
Vers une constitutionnalisation des putschs ?
C’est tout du moins le constat que plusieurs observateurs politiques se font de l’ancien 192 article du projet constitutionnel devenu le 170eme article dans la version finale remise au Premier ministre, Raymond Ndong. Cet Article prévoit que : «Les acteurs des événements allant du 29 août 2023 à l’investiture du Président de la Transition, ne seront ni poursuivis ni condamnés. Une loi d’amnistie sera adoptée à cet effet», révèle les textes de l’hypothétique Loi fondamentale.
Une double interprétation peut être faite sur ce passage qui consacre aux «héros» de la République une immunité absolue au sortir du processus de la Transition. Elle sera certes l’expression de la reconnaissance du peuple aux militaires qui ont eu le mérite de déposer le despote Ali Bongo au sortir d’une élection marquée de nombreuses irrégularités dûment constatée par l’ensemble du collège électoral gabonais.
Et il est tout à fait plausible que sans cette loi, ils fassent l’objet de poursuites pour crime de «haute trahison» à la nation. La deuxième réside dans le non-dit à déceler dans l’article. Pour Romuald Assogho, chercheur à l’université Omar Bongo : « […] Si on part des caractères de la règle des droits, selon lesquels la loi est générale et impersonnelle et dispose pour l’avenir et non pour le présent. Le coup militaire pourrait devenir la norme en matière d’alternance au pouvoir […]», s’explique-t-il.
Comme lui, beaucoup d’autres observateurs, ont remis en cause cette «régression» du nouveau projet de la Constitution en pointant le risque de voir la désintégration de l’ordre constitutionnel au profit des «coup d’État permanent». Les militaires ont certes droit aux avantages à la mesure de leur acte d’héroïsme posé le 30 août 2023, mais il y a peut-être d’autres moyens de leur garantir cette amnistie que le canal de la future loi fondamentale.
Quid de la notion de responsabilité «individuelle» dans l’article 170 ?
Si le texte met en avant la notion d’amnistie, elle ne précise pas dans quelle condition cette amnistie est possible. Mieux encore, elle n’indique pas la nature de poursuites que peuvent faire l’objet les militaires en proie aux dérives durant cette période. De façon subtile, cette loi dédouane cette catégorie de toutes responsabilités dans la gestion des affaires courantes de l’État. Même dans les cas avérés de détournement de deniers publics, de malversations financières et plus généralement des crimes économiques. Il en va aussi de même pour les personnalités politiques et administratives de haut-rang qui sont actuellement aux responsabilités et qui pourraient à leur tour se voir consacrer cette immunité «ad vitam eternam». Au vu de cette forte proportion d’amnistie, n’est-on pas en train de vouloir ériger l’impunité comme une règle ?
Assurément oui ! Car, si cette loi paraît rationnelle sur la forme, dans le fond il y a des non-dits. Elle mérite des clarifications objectives de la part du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) pour emmener les Gabonais à mieux cerner les enjeux d’un tel article dans la loi fondamentale.
Article 170 ou personnalisation de l’intérêt ?
Le projet de Constitution ne devrait pas être le réceptacle des intérêts partisans d’un groupuscule de personnes. Elle a d’abord et surtout pour objectif de mettre au centre les intérêts de la nation. La Transition a été l’occasion de redéfinir les contours démocratiques de notre pays et les partis politiques, mis en partage lors de la rédaction de ce projet, les différents acteurs auraient sans doute contribué à exprimer clairement la trajectoire appropriée pour l’évolution du processus démocratique. L’article 170 n’offre donc pas de tangibilité dans l’équité sociale recherchée et met à mal la notion de responsabilité publique, car chaque dirigeant devrait rendre les comptes de sa gestion au peuple souverain quelque soit la durée passée au pouvoir ou les circonstances dans lesquelles ledit pouvoir a été exercé.