Dans son projet de société, le candidat Brice Clotaire Oligui Nguéma fait du réseau routier l’un des chantiers phares de son programme. Il déplore l’état des infrastructures, qu’il qualifie de « frein à la mobilité des personnes et des biens ». Pourtant, ce même document revendique la construction de 1960 kilomètres de routes en seulement 19 mois de transition. Un chiffre impressionnant, mais qui soulève des questions sur la cohérence du discours présidentiel et la réalité du terrain.
Le projet de société présenté par le président-candidat dresse un tableau sombre de la situation routière. On peut y lire : « L’état du réseau routier demeure un frein à la mobilité des personnes et des biens, en particulier pour le désenclavement des zones à fort potentiel économique. » Une telle formulation laisse entendre une urgence nationale à réhabiliter et développer les voies de communication. Dans le même temps, le document annonce cependant que « 1960 km de routes ont été réalisés » depuis le début de la transition militaire. Une performance qui, si elle est avérée, devrait avoir considérablement modifié le paysage routier du pays.
Une cadence de 100 km de routes par mois
Mais cette annonce mérite tout de même d’être interrogée. Construire ou réhabiliter près de 2000 km de routes en moins de deux ans représenterait une avancée historique au Gabon, pays où les projets d’infrastructure sont souvent lents, coûteux et inachevés. Toute chose qui équivaudrait à une cadence de plus de 100 km par mois, une moyenne rarement atteinte même par des États disposant d’un appareil technique et financier robuste. Or, sur le terrain, les constats sont moins optimistes : de nombreuses routes secondaires restent impraticables en saison des pluies, et les grands axes reliant les capitales provinciales sont loin d’être tous modernisés.
L’incohérence entre le constat et le bilan suggère plusieurs failles. Soit les kilomètres réalisés ne concernent pas des routes revêtues et durables, mais des pistes de desserte ou des réhabilitations mineures, auquel cas l’impact sur la mobilité reste limité. Soit le bilan est exagéré à des fins politiques, pour construire l’image d’un leadership efficace à l’approche de l’élection présidentielle. Dans les deux cas, cette contradiction fragilise la crédibilité du discours et appelle à un effort de transparence. Où sont ces 1 960 km ? Quelle est leur qualité ? Quelles zones ont été désenclavées ?
Une tension classique
Cette situation révèle surtout une tension classique dans les programmes politiques : l’envie de dresser un bilan flatteur, tout en présentant une vision d’avenir ambitieuse pour capter les attentes. Mais un projet de société gagne en force lorsqu’il s’appuie sur un diagnostic lucide, appuyé par des données vérifiables. Pour l’heure, le discours du candidat Oligui Nguéma reste suspendu entre auto-célébration et constat d’échec partiel à quelques jours d’une présidentielle qui se dit « jouée d’avance » par ses partisans.
ENCADRÉ : que représente vraiment 1 960 km de routes au Gabon ?
Dans un pays comme le Gabon, qui compte environ 10 000 kilomètres de routes recensées, dont à peine 10 à 15 % seraient bitumées selon les estimations de la Banque mondiale, la construction ou la réhabilitation de 1 960 km de routes représente théoriquement près de 20 % du réseau total. Ce chiffre, impressionnant sur le papier, pourrait suggérer une transformation radicale du réseau routier national. Mais en l’absence de précisions sur la nature de ces routes (bitumées, en latérite, rurales, secondaires ?), leur localisation exacte, leur état réel, ou encore le coût et la qualité des travaux réalisés, il reste difficile de mesurer leur impact concret sur la mobilité. En outre, si une large part de ces kilomètres concerne des axes peu fréquentés ou ne répond pas à des besoins économiques immédiats, leur utilité stratégique pourrait être très relative. D’où l’importance d’un audit indépendant pour crédibiliser ces données et évaluer leur effet réel sur le développement national.