Il fut un temps où le Gabon pouvait se vanter d’une fourniture d’électricité et d’eau potable presque irréprochable. Dans les années 1980 et 1990, le pays affichait un taux d’interruption inférieur à 10 heures par an, un chiffre qui, aujourd’hui, semble presque irréel face aux délestages chroniques qui paralysent le quotidien des Gabonais. Ce modèle d’excellence, comparable à celui des pays européens, s’est progressivement effondré sous le poids des choix politiques et économiques discutables.
1990, entrée en scène de Veolia
Selon l’analyse d’Étienne Dieudonné Ngoubou, ancien ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Ressources Hydrauliques, cette situation était le fruit d’une gestion rigoureuse et d’un investissement soutenu dans les infrastructures publiques. « Nous avions un réseau maîtrisé, des centrales bien entretenues et un service technique réactif. L’État assumait son rôle de garant du service public, et la qualité de la fourniture d’énergie était l’une des meilleures du continent », rappelle-t-il dans une tribune publiée sur Direct Infos Gabon et reprise par Inside News241.
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Le basculement s’est amorcé à la fin des années 1990 avec l’entrée en scène de Veolia, qui prit progressivement le contrôle de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG). « L’arrivée de Veolia a marqué un tournant : une privatisation mal pensée, où l’opérateur privé s’est progressivement désengagé des investissements nécessaires pour maintenir la qualité du service », souligne Ngoubou. La conséquence a été une dégradation progressive des infrastructures, amplifiée par un manque criant de maintenance et une gestion opaque des ressources financières.
Accumulation des dettes
Par ailleurs, l’accumulation des dettes de l’État vis-à-vis de la SEEG a aggravé la situation. À titre d’exemple, au 30 août 2023, cette dette s’élevait à environ 150 milliards de francs fcfa, un montant qui a directement impacté la capacité de la société à entretenir et moderniser ses installations. « Sans moyens financiers, il devient impossible d’assurer une distribution régulière et fiable d’électricité et d’eau potable. Nous sommes passés d’un modèle performant à un système défaillant en moins de deux décennies », déplore l’ancien ministre.
Aujourd’hui, le contraste est saisissant. Les coupures de courant sont devenues monnaie courante, touchant aussi bien les ménages que les entreprises. Certaines zones du pays peuvent être privées d’électricité pendant plusieurs jours d’affilée, un phénomène inimaginable il y a trente ans. Ngoubou insiste sur la nécessité d’un retour à une gestion rigoureuse et structurée du secteur : « Nous devons retrouver cette ambition qui faisait du Gabon un modèle en Afrique. Cela passe par une réforme profonde du cadre institutionnel, une transparence totale des finances du secteur et une vision à long terme, affranchie des intérêts politiques de court terme. »
Si, un 20 juin des années 1980, un Gabonais pouvait allumer la lumière sans craindre une panne, cette époque semble aujourd’hui bien lointaine. Mais selon Ngoubou, un redressement est encore possible, à condition de prendre des décisions fortes et immédiates. Faute de quoi, le pays risque de s’enfoncer davantage dans une crise énergétique aux conséquences désastreuses pour son développement.