La récente interdiction de la vente ambulante de nourriture à Libreville, prise par le Délégué Spécial Adrien Nguema Mba, s’inscrit dans une stratégie assumée d’assainissement de l’espace urbain. Si elle vise la salubrité et la sécurité alimentaire, cette décision frappe durement des centaines de petits vendeurs qui vivaient de cette activité. Les fameux “cafés ambulants”, les grillades de “Nike” ou les plats de “coupé-coupé” faisaient pourtant partie intégrante du paysage quotidien de la capitale.
La mairie justifie sa mesure par des constats alarmants : cuisson approximative, hygiène douteuse, denrées exposées à la poussière, aux microbes, à la chaleur et parfois aux rongeurs. Sauf qu’elle tolère ces vendeurs ambulants de produits périssables. Ces pratiques favorisent les intoxications alimentaires, les épidémies diarrhéiques et d’autres pathologies évitables. L’objectif de la mairie est de désengorger les centres de santé, tout en responsabilisant les vendeurs autour des normes sanitaires minimales. Une approche que plusieurs acteurs de la santé publique appellent de leurs vœux depuis des années.

Mais cette politique heurte de plein fouet la réalité sociale. À Libreville, la majorité des vendeurs ambulants sont des femmes seules, des jeunes sans emploi stable ou des anciens agents de l’informel. Leur expulsion de l’espace public, sans solution transitoire, les prive d’un revenu vital. L’absence de formation, de reconversion ou de dispositif d’accompagnement est vécue comme une brutalité administrative. D’autant plus que les alternatives économiques proposées par les autorités sont encore floues ou peu accessibles.
Certains observateurs appellent à un “entre-deux” : instaurer un système de licences d’hygiène, aménager des zones dédiées à la vente populaire, ou même créer un label de restauration ambulante saine. Des villes comme Dakar, Ouagadougou ou Abidjan ont déjà expérimenté ces approches hybrides, conciliant salubrité publique et inclusion sociale. Libreville pourrait s’en inspirer pour ne pas sacrifier l’économie populaire au nom de la modernité.
La lutte pour une ville propre et saine est légitime. Mais elle doit s’accompagner d’une politique sociale cohérente, fondée sur l’inclusion et la responsabilisation. Assainir une ville ne peut se faire au détriment de ses habitants les plus fragiles. Il ne suffit pas de dénoncer les pratiques à risque, encore faut-il offrir des alternatives viables à ceux qui les pratiquent par nécessité. Former les vendeurs, les équiper, les intégrer dans une économie structurée. Libreville ne gagnera pas la bataille de la salubrité par les seules interdictions. Elle ne la gagnera que si elle fait de chaque citoyen un acteur du changement. C’est à cette condition que la capitale gabonaise pourra réellement opérer sa mue sans fracture sociale.