Dans un pays miné par les dettes impayées, les hôpitaux sous-équipés et les salaires versés au compte-gouttes, une question fondamentale reste sans réponse claire : comment est dépensé notre argent ? Et surtout, qui oriente vraiment les recettes publiques ? Créée en 2015 pour incarner une rupture, la Direction Générale du Budget et des Finances Publiques (DGBFIP) devait symboliser la transparence, la rigueur, la réforme. Dix ans plus tard, elle incarne surtout l’opacité et la centralisation discrétionnaire de la dépense publique. Un monstre administratif de façade, né de la fusion de trois directions, et dont le fonctionnement échappe de plus en plus au contrôle citoyen… même sous la Vème République de Brice Clotaire Oligui Nguéma.
Un devoir de transparence sans faille
À sa création, la DGBFIP avait pourtant une ambition forte : rationaliser la gestion des finances de l’État grâce à la mutualisation des compétences de la Direction du Budget, des Marchés Publics et du Contrôle des Ressources. Un rêve de technocrate, inscrit dans un décret signé le 16 janvier 2015. Mais en pratique, la mutualisation s’est traduite par la concentration de tous les leviers de dépenses entre quelques mains. Avec ses quatre grands pôles, audit, marchés publics, budget, et contrôle, la DGBFIP régente l’ensemble du processus budgétaire : de la planification à l’ordonnancement, en passant par le paiement et la reddition des comptes. Une telle emprise devrait s’accompagner d’un devoir de transparence sans faille. Il n’en est pourtant rien.
Une opacité inquiétante
Où sont passées les exécutions budgétaires détaillées? Quelles sont les affectations réelles des crédits votés en loi de finances? Quels arbitrages président à la priorisation des dépenses? Quels mécanismes d’évaluation sont mis en œuvre pour s’assurer que les fonds publics atteignent leurs objectifs ? La DGBFIP garde le silence et ce depuis 2019. Elle opère, sans jamais publier. Et lorsqu’elle communique, c’est à travers des tableaux illisibles, des rapports verrouillés ou des conférences sans débat. Le citoyen, le parlementaire, le journaliste ou même le partenaire au développement sont réduits au rang de spectateur, face à un système budgétaire qui dépense sans rendre compte.
Absence de données des marchés publics
Le plus inquiétant reste l’absence de données sur les marchés publics. Si la DGBFIP a intégré l’ancienne DGMP, elle a visiblement hérité de son opacité aussi. Qui sont les principaux bénéficiaires des contrats publics ? Quelles entreprises raflent les marchés ? Quels sont les critères de sélection ? Silence total. Le portail des marchés publics est devenu une coquille vide. Or, c’est là que se niche le plus gros volume de détournements, de surfacturations, de clientélisme. À quoi bon créer un Pôle Marchés Publics si c’est pour que les mêmes pratiques discrétionnaires perdurent à huis clos, loin de tout regard citoyen ?
Quid de la budgétisation par objectifs ?
Le Gabon a adopté la budgétisation par objectifs de programme (BOP). Sur le papier, cela suppose des objectifs mesurables, des indicateurs publics, des évaluations rigoureuses. Mais sur le terrain, la DGBFIP transforme cet outil en écran de fumée. Des lignes budgétaires sans exécution visible. Des crédits ouverts mais non consommés. Des engagements signés, mais jamais soldés. La dette intérieure explose, les fournisseurs s’asphyxient, et l’État continue de programmer comme si de rien n’était. Sans reporting. Sans comptes. Sans vérité.
L’heure n’est plus aux réformes cosmétiques. Il est temps d’exiger de la DGBFIP ce qu’elle prétend incarner : la transparence, la redevabilité, l’efficacité. Si elle centralise l’argent public, alors elle doit rendre des comptes au public. En l’état, elle n’est qu’une forteresse opaque au service d’un appareil technocratique qui échappe à tout contrôle citoyen. Et cela pose une question simple : à quoi sert encore le vote du budget, si la dépense publique est hors de tout radar ?