Ces signaux d’alerte consignés noir sur blanc dans le rapport de la Direction générale de l’aval pétrolier et gazier (DGAPG) ne relèvent pas du détail. Ils traduisent un laisser-aller logistique qui frôle l’irresponsabilité. Voir encore en 2025 des « bouteilles cabossées » ou « fuyardes » en circulation sur le marché est le symptôme d’un contrôle qualité quasi inexistant, alors que les risques d’explosion domestique ou de catastrophe en station-service sont bien réels. Pire encore, la banalisation des « accidents récurrents des camions gaz » illustre une absence flagrante de discipline opérationnelle chez certains transporteurs.
Navigation à vue
Sur les infrastructures, les alertes s’accumulent. La voie Bifoun-Ndjolé, un axe névralgique pour l’approvisionnement Nord-Sud, est qualifiée de « fortement dégradée », au point de représenter un risque de rupture dans l’acheminement des produits. Des crevasses à l’entrée du dépôt de Ndjolé, pourtant site stratégique, ne sont toujours pas sécurisées. Faut-il attendre un drame pour qu’une opération de sécurisation soit lancée ? L’accumulation de ces failles techniques et sécuritaires montre que l’État navigue à vue sur une question pourtant critique : la sécurité énergétique.
Cette gestion au jour le jour donne l’impression d’un système incapable d’anticiper. Il ne suffit pas d’organiser des réunions HSSE ou de sensibiliser les opérateurs, si rien n’est suivi d’effet. Les recommandations s’empilent, mais les problèmes se répètent. Où sont les sanctions ? Où sont les inspections indépendantes et les fermetures administratives en cas de mise en danger des personnes ? On ne peut pas confier un secteur aussi stratégique à la seule bonne volonté des opérateurs privés.
État gabonais : observateur ou arbitre ferme et stratège ?
Les consommateurs, eux, paient le prix fort. Le prix réel du gaz ne se mesure pas uniquement en francs cfa, mais en anxiété, en accidents évitables, et en pertes économiques causées par les ruptures d’approvisionnement. La logistique pétrolière, en théorie colonne vertébrale du développement, est devenue au Gabon un enchaînement de maillons faibles. Un simple incident dans ce système fragilisé peut rapidement tourner à la crise nationale.
Il est donc urgent que l’État gabonais passe d’une posture d’observateur à celle d’arbitre ferme et stratège. Il faut instaurer une gouvernance logistique intégrée, fondée sur l’audit indépendant, la traçabilité, la répression des manquements et l’obligation de maintenance préventive. Sinon, ces « bouteilles cabossées » deviendront, un jour ou l’autre, les détonateurs d’un drame évitable. Et il ne faudra pas dire qu’on ne savait pas.