Au Gabon, la détention préventive, censée être une mesure exceptionnelle en droit pénal, est devenue une pratique quasi systématique. Malgré les dispositions claires du Code de procédure pénale (CPP) de 2019, de nombreux individus poursuivis sont placés sous mandat de dépôt sans que les magistrats vérifient rigoureusement si ces personnes présentent des garanties suffisantes de représentation, comme le prévoit l’article 16 de la Constitution gabonaise. « Nul ne peut être arbitrairement détenu. Nul ne peut être gardé à vue ou placé sous mandat de dépôt s’il présente des garanties suffisantes de représentation. », dispose l’article 16 de la nouvelle Constitution gabonaise approuvée par consensus populaire le 16 novembre 2024. L’inobservation de cette disposition soulève alors de sérieuses questions sur le respect des droits fondamentaux et l’application effective de la loi dans notre jeune démocratie en construction.
La loi n’est pas un objet à désorienter à convenance personnelle ! Selon l’article 132 du CPP, la détention préventive est explicitement qualifiée de « mesure exceptionnelle ». Elle ne peut être ordonnée ou maintenue que dans des cas précis : pour conserver les preuves ou indices matériels, empêcher des pressions sur les témoins ou victimes, ou éviter une concertation frauduleuse entre inculpés et complices. Elle est également justifiée si elle est nécessaire pour préserver l’ordre public troublé par l’infraction, mettre fin à celle-ci, prévenir son renouvellement, ou garantir la représentation de l’inculpé devant la justice.
Pourtant, dans la réalité gabonaise, à cause de l’absence d’adressage fiable et d’autres contraintes locales, cette mesure d’exception s’est muée en règle. Des personnes présentant toutes les garanties de représentation à l’instar de Harold Leckat, directeur de publication de Gabon Media Time, qui ont un domicile fixe, un emploi stable ou des attaches familiales se retrouvent incarcérées par défaut, au mépris de la présomption d’innocence. Le CPP encadre strictement les durées de cette détention. En matière correctionnelle, elle est limitée à 6 mois, prolongeable une fois de 6 mois supplémentaires par ordonnance motivée du juge d’instruction, après les réquisitions du procureur de la République.
En matière criminelle, la détention préventive ne peut excéder 1 an initialement, avec des prolongations de 6 mois possibles, et une dernière extension de 6 mois décidée par la Chambre d’accusation si nécessaire, pour un maximum de 24 mois. L’article 135 permet au juge de passer outre en cas de retard des réquisitions, tandis que l’article 136 impose une notification des décisions avant l’expiration des délais, sous peine de libération d’office de l’inculpé sur ordre du Ministère Public. Toute rétention au-delà est punie comme détention arbitraire.
Attention, justice en danger Il faut se le dire avec franchise, la pratique abusive de la détention préventive n’est pas sans conséquences. Pour preuve, l’article 146 du CPP prévoit une indemnité pour la victime d’une détention préventive injustifiée, en cas de non-lieu, relaxe ou acquittement, si un préjudice moral ou matériel anormal et grave est prouvé. Cette indemnité est à la charge de l’État, qui peut se retourner contre les dénonciateurs de mauvaise foi ou faux témoins (article 148). Ces dispositions visent à dissuader les abus, mais leur application reste rare, renforçant l’impunité.
Les magistrats ont un rôle pivotal : avant de délivrer un mandat de dépôt, ils doivent s’assurer que le mis en cause ne présente pas les garanties de représentation requises par la Constitution. Ignorer cela non seulement viole le Code de procédure pénale en vigueur, mais érode la confiance en la justice. Il est urgent que les autorités judiciaires reviennent à l’esprit de la loi : la détention préventive n’est pas un principe, mais une exception justifiée. Seul un respect scrupuleux des textes permettra de protéger les droits humains et de renforcer l’État de droit au Gabon.








