Derrière les stands colorés de la foire sino-gabonaise de Libreville, un enjeu crucial se joue pour le Gabon : capitaliser sur sa relation privilégiée avec Pékin tout en rééquilibrant un partenariat à forte asymétrie. Dans un contexte de repositionnement géopolitique post-transition, Libreville cherche à mieux valoriser ses ressources, tout en explorant des transferts de technologies et des co-investissements plus équilibrés. Décryptage.
Organisée du 24 au 27 juillet 2025 à Libreville, la foire sino-gabonaise n’est pas qu’un simple salon d’expositions commerciales. Elle constitue un signal politique fort envoyé par les autorités gabonaises à leur principal partenaire commercial. Avec plus de 70 entreprises exposantes, et des délégations conduites par des ministres de rang élevé, cette vitrine reflète l’ambition d’« approfondir un partenariat stratégique » devenu central dans la diplomatie économique du pays.
En coulisses, plusieurs mémorandums d’entente sont en discussion, notamment sur des projets industriels dans la zone économique spéciale de Nkok et sur la mécanisation agricole dans l’Est du pays. Selon des sources proches du ministère de l’Économie, plus de 80% des exportations gabonaises vers la Chine restent concentrées sur deux produits : le pétrole brut et le bois scié. Une concentration inquiétante, qui expose le pays aux chocs des cours internationaux et empêche toute montée en gamme.
Libreville tente donc de corriger cette tendance en promouvant une politique de transformation locale, mais se heurte au fait que la plupart des investissements chinois restent orientés vers l’extraction et la logistique d’exportation, et non vers des chaînes de valeur complètes sur place. Les projets emblématiques que sont la route Port-Gentil-Omboué, Grand Poubara, le Sénat, ou la Maison de la Radio, sont souvent présentés comme des dons ou des prêts concessionnels.
Pourtant, une lecture fine des accords montre que la plupart sont adossés à des contreparties en nature : concessions forestières, droits d’exploitation minière ou remboursements sur la rente pétrolière. Une logique que Libreville cherche désormais à renégocier. Le gouvernement, selon nos informations, travaille sur une nouvelle charte des investissements étrangers qui imposerait des quotas de contenu local, des clauses de transfert de technologie et des obligations fiscales renforcées.
Lors de cette foire, les autorités gabonaises ont vanté trois filières jugées stratégiques : le textile bio à base de fibres locales, la valorisation industrielle du manioc et les pièces détachées automobiles. Selon un conseiller du ministère du Commerce, « ces trois secteurs pourraient faire l’objet de joint-ventures sino-gabonaises à capitaux mixtes, avec des incitations fiscales spécifiques ». Le retour en force du Gabon sur la scène internationale, depuis le changement de régime en août 2023, s’accompagne d’un discours plus souverainiste. « Il n’est pas question de briser les liens avec Pékin, mais de les rééquilibrer. La Chine doit être un partenaire industriel, pas seulement un client ou un prêteur », affirme un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. La présence d’entreprises chinoises sur des segments sensibles comme les télécoms ou les infrastructures portuaires suscite également un débat sur la souveraineté numérique et les risques d’ingérence.