Dans son discours à la Nation à l’occasion du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance, le président Brice Clotaire Oligui Nguéma a fixé un cap ambitieux : « Pour ce faire, nous devons viser un taux de croissance de 10%. Cela impose discipline, ardeur au travail, probité, cohésion et méthode. » Cette annonce, qui entend incarner la rupture et l’espérance de la Ve République, suscite toutefois de sérieuses interrogations lorsqu’on la confronte aux données récentes de l’économie gabonaise.
En 2024, la croissance du Gabon a atteint 2,9% selon la Banque mondiale et 3,4% selon les autorités nationales, tirée par le BTP, les services et un regain de production pétrolière. Mais ces performances restent en deçà des besoins d’un pays confronté à un chômage de près de 20% et à une pauvreté touchant 34,6% de la population. La Banque mondiale souligne que depuis 2019, la croissance moyenne plafonne à 2% par an, trop faible pour générer une transformation économique profonde.
Les perspectives publiées par le gouvernement dans le Document de cadrage budgétaire 2026-2028 tablent sur 2,4% en 2025, puis une moyenne de 3,3% entre 2026 et 2028. Même dans l’hypothèse optimiste d’une relance du secteur hors pétrole, il est difficile d’imaginer comment atteindre un rythme de 10%, qui équivaut à plus que tripler la croissance actuelle. Les principaux secteurs porteurs, mines, bois, agriculture, restent freinés par les goulets d’étranglement logistiques (chemin de fer, routes, énergie), identifiés de longue date.
L’écart entre l’objectif présidentiel et les projections économiques interroge sur la crédibilité de cette promesse. Pour approcher un tel seuil, le Gabon devrait non seulement diversifier son économie de façon accélérée, mais aussi attirer des volumes massifs d’investissements productifs et privés, ce que la rigidité administrative et le poids de la dette rendent difficiles. La Banque mondiale évoque d’ailleurs la nécessité de réformes « fortes » pour créer des conditions favorables au secteur privé.
En l’état actuel, l’objectif de 10% relève davantage d’un horizon symbolique que d’une cible réaliste. La question est moins de viser un chiffre spectaculaire que de bâtir une trajectoire crédible de croissance inclusive, permettant de réduire la pauvreté et de soutenir l’emploi. Sans ajustement des politiques publiques et sans amélioration de la gouvernance économique, le Gabon risque de continuer sur un sentier modeste, loin des ambitions présidentielles