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Gabon : quand les militaires troquent leurs treillis contre des t-shirts à l’effigie du «Oui»

le coup de coeur

Au Gabon, l’implication de militaires dans la vie politique depuis le 30 août 2023 a été saluée par les populations qui y ont vu la fin d’une époque. Mais depuis quelques temps, en dépit des nombreuses réalisations attribuées au Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) en un an, leurs actes, surtout en cette période de référendum, suscitent un débat de plus en plus enflammé. Le dernier exemple en date est celui d’un éminent membre du CTRI, qui a décidé de faire campagne pour le «Oui» au référendum constitutionnel dans la province de la Nyanga. Troquant au passage son treillis habituel pour un t-shirt de circonstance. Ce geste choque une partie de l’opinion publique, car il va à l’encontre des principes fondamentaux de la profession militaire, inscrits notamment dans l’Ordonnance N° 007/PR/2010 du 25 février 2010, qui exige de tout militaire une neutralité absolue, une discipline rigoureuse et un respect des principes apolitiques. Mais surtout de la Charte de la Transition qui exige une neutralité à toute épreuve.

Selon l’article 10 de cette ordonnance, l’armée doit incarner un modèle de neutralité et d’indépendance vis-à-vis des orientations politiques. Pourtant, en arborant un tee-shirt aux couleurs du «Oui», ce militaire, éminent membre du CTRI et ministre, semble non seulement briser cette règle fondamentale, mais aussi remettre en question la confiance du peuple envers une armée censée être au service de la nation, et non d’un camp politique ou d’une cause partisane. 

De la neutralité militaire

L’armée gabonaise, à l’image de toutes les institutions militaires du monde, devrait préserver son rôle de gardienne de la souveraineté nationale, loin des clivages politiques et des influences partisanes. Cette règle doit prévaloir, surtout en période de Transition, puisque le leader du CTRI, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, est garant de la Charte de la Transition.

D’ailleurs, le chapitre 1er de la Charte de la Transition est clair sur ce point. L’article 1er stipule : « Outre les valeurs affirmées par la Constitution du 26 mars 1991 en son préambule, la présente Charte consacre les valeurs et principes suivants pour conduire la Transition : le patriotisme, la loyauté et la probité ; la Justice, l’impartialité et la dignité ; […] la discipline, le civisme et la citoyenneté ; […] 

la neutralité, la transparence et l’intégrité…”, pour ne citer que celles-ci.

Ce genre d’attitude engendre des inquiétudes de plus en plus grandes, sur la neutralité des militaires en cette période électorale précédant une autre qui est celle des prochaines élections présidentielles. Lorsqu’un militaire se montre ouvertement partisan, il envoie un signal quant à l’équité des processus démocratiques. Les militaires sont souvent les garants de l’ordre public et de la sécurité pendant ces périodes cruciales. Leur rôle doit être de maintenir la stabilité, non de s’engager dans des batailles politiques. A moins que ce référendum soit un ballon d’essai pour la présidentielle. Auquel cas, les Gabonais savent ce qui les attend.

Une armée partiale ?

En intervenant publiquement pour un «Oui», le Colonel Ulrich Manfoumbi, porte-parole du CTRI, pourrait susciter une méfiance parmi les électeurs, qui pourraient se sentir intimidés ou influencés par une armée perçue comme partiale. Surtout après les soupçons de connivence avec le Parti démocratique gabonais (PDG) soulevés par le Pr Albert Ondo Ossa, ancien candidat à la Présidentielle de 2023 lors de son passage sur TV5. L’impact de cet acte dépasse largement les frontières de la simple sphère militaire.

Il pourrait affecter la crédibilité de l’armée dans son ensemble, et par extension, la perception de l’État. Au Gabon, où les tensions politiques sont parfois vives, tout acte perçu comme un soutien gouvernemental peut être interprété comme une tentative de manipulation ou de pression sur le corps électoral. Cette dérive, loin de renforcer la légitimité du référendum, pourrait au contraire nuire à sa crédibilité et entacher la réputation du gouvernement, déjà accusé de nombreux dérapages démocratiques dans le passé.

Référendum ou « dérive plébiscitaire » ?

Sommes-nous face à une « dérive plébiscitaire » ? Car l’impression que de nombreux Gabonais ont c’est que ce référendum est utilisé pour des objectifs politiques,  détournant le processus de sa fonction initiale de consultation populaire sur une question aussi importante que la Constitution. A l’image de Charles de Gaulle en France, par exemple, qui avait lié les résultats du référendum de 1969 à son maintien au pouvoir, transformant un vote technique en un vote de confiance personnel, le CTRI semble vouloir plus légitimer son pouvoir que réellement sortir les Gabonais d’un nouveau demi-siècle d’esclavagisme politique. Car, si un référendum est utilisé pour renforcer le pouvoir d’un dirigeant, plutôt que pour consulter les citoyens sur une politique ou réforme, il s’agit clairement d’une « dérive plébiscitaire » et non plus d’un référendum. Les autorités de la Transition ce sont-elles laissées emporter par les démons  du pouvoir qui ont fait perdre la tête à Ali Bongo et sa suite ? 

Une glissement dangereux

Le geste de cet éminent membre du CTRI, bien que peut-être animé de bonnes intentions, symbolise un glissement dangereux qui ne peut être ignoré. Le respect des principes de neutralité, de discipline et d’apolitisme, fondamentaux pour l’intégrité des forces armées, doit absolument être préservé. L’armée gabonaise, tout comme celle de tout autre pays démocratique, doit rappeler à ses membres qu’elle n’est pas un instrument de pression politique, mais une institution dédiée à la protection et à l’unité de la nation. La tentation de troquer le treillis contre un tee-shirt politique doit être fermement évitée pour garantir la confiance des citoyens dans les processus démocratiques. Tout comme celle de troquer un treillis contre un costume. Tout est dans le détail.

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