C’est une claque cinglante pour des milliers d’étudiants gabonais. Alors que l’État vient d’annoncer la suspension brutale du paiement des bourses dans plusieurs pays clés que sont le Canada, France, États-Unis, un chiffre refait surface, lourd de sens et d’injustice : en 2019, plus de 2,3 milliards de fcfa ont été déboursés pour la scolarité des enfants de diplomates. Un chiffre qui a peut-être augmenté ces dernières années mais faute de rapport d’exécution budgétaire disponible, difficile à vérifier. Un privilège pour une minorité, pendant que la majorité galère entre loyers impayés, frais universitaires et tickets de restauration bloqués.
À la lumière des difficultés actuelles du Trésor public, le rappel de cette dépense passée prend un goût amer. En effet, selon le rapport d’exécution budgétaire du 3e trimestre 2019, ce sont précisément 2,357 milliards de fcfa fcfa qui ont été affectés à la scolarité des enfants de diplomates. Dans un pays où des universités ferment pour faute d’électricité, et où certains lycées fonctionnent encore avec des tables bancales, cette priorité budgétaire pose question. Le contraste est aujourd’hui plus choquant que jamais.
Une République à deux vitesses
Ce chiffre est aujourd’hui d’autant plus évocateur et brutal alors que le président Brice Clotaire Oligui Nguéma, vient d’annoncer, lors d’un échange officiel avec la diaspora à Washington, la suppression pure et simple des bourses pour les étudiants gabonais en France, au Canada et aux États-Unis. Deux jeunesses, deux traitements, un même budget : bienvenue dans une (cinquième?) République à deux vitesses.
Devant une salle pleine de jeunes expatriés abasourdis, le chef de l’État a justifié cette décision radicale par des arguments budgétaires et moraux : « Ces étudiants coûtent trop cher à l’État et ne reviennent pas au pays. » Une phrase qui sonne comme une sentence, tant elle semble balayer d’un revers de main des trajectoires individuelles bâties avec effort, souvent dans des conditions précaires. Mais ce qui choque encore plus, c’est ce que l’État continue de financer dans l’ombre : les frais scolaires des enfants de diplomates, dans les écoles les plus élitistes et coûteuses du monde.
Ces 2,3 milliards de fcfa recensés dans le rapport d’exécution budgétaire 2019, et reconduits chaque année selon plusieurs sources internes à la Direction générale du budget, ne sont pas un accident de gestion. Ils témoignent d’une ligne constante, assumée mais non discutée, qui fait de la scolarité des enfants d’ambassadeurs une « dépense obligatoire« , quand celle des étudiants gabonais dans des universités publiques, devient une « charge inutile« . Le message politique est clair : seuls les enfants des hauts fonctionnaires de l’Etat méritent un accompagnement durable.
L’argument selon lequel les boursiers à l’étranger « ne reviennent pas » est d’autant plus bancal que l’État gabonais ne propose aucune politique de retour ni de valorisation des compétences acquises. Il s’agit donc moins d’un calcul économique que d’une sanction politique : punir ceux qui échappent à la filière officielle, autonome, et souvent critique. À l’inverse, les enfants de diplomates, déjà inscrits dans les réseaux du pouvoir, sont considérés comme des investissements… même lorsqu’ils coûtent trois à cinq fois plus par tête.
Ce traitement différencié de la jeunesse gabonaise ouvre une fracture symbolique profonde : celle d’un État qui tourne le dos à ses meilleurs éléments pour préserver une aristocratie administrative protégée. En supprimant les bourses pour certains, tout en conservant les privilèges d’autres, la présidence de la République entérine un principe dangereux : l’inégalité éducative comme outil de tri politique. Une génération sacrifiée pour que quelques-uns restent à l’abri.