Pendant que d’autres pays renforcent leurs capacités internes, le Gabon délègue sa stratégie financière à des cabinets étrangers. La nomination de Rothschild & Cie comme conseiller stratégique et financier de la République gabonaise suscite une interrogation fondamentale : pourquoi l’État gabonais ne parvient-il toujours pas à bâtir une expertise économique publique capable de dialoguer directement avec les bailleurs internationaux, définir sa stratégie budgétaire ou concevoir ses plans de réformes, sans devoir externaliser ces missions à des cabinets privés internationaux ?
Rothschild est certes un acteur de poids, rompu aux restructurations complexes et à la gestion des dettes souveraines. Mais dans un contexte où la dette publique du Gabon dépasse les 80% du PIB, où les besoins en financements sont énormes, et où la population attend des politiques de rupture concrètes, le signal envoyé est clair: aveu de faiblesse.
À l’inverse, certains pays africains ont choisi de renforcer leurs institutions nationales. Le Rwanda, par exemple, s’est doté d’un ministère de l’Économie particulièrement structuré, capable de conduire lui-même ses négociations avec le FMI et la Banque mondiale. Le Botswana, de son côté, s’appuie sur une direction du Trésor compétente, adossée à une Banque centrale indépendante, pour élaborer des politiques budgétaires cohérentes. L’Éthiopie, malgré ses défis, a réussi à élaborer ses réformes économiques majeures à travers des cadres nationaux, souvent avec l’appui technique ponctuel d’agences multilatérales, mais sans confier sa stratégie à des entités privées étrangères.
Le Gabon, lui, semble enfermé dans une dépendance structurelle : hier avec les cabinets anglo-saxons pour sa dette, aujourd’hui avec Rothschild pour sa stratégie économique. Ce modèle, coûteux, soulève des questions de souveraineté, de transparence et de redevabilité. Rothschild, au-delà de ses compétences, reste une entreprise privée, agissant dans le cadre d’objectifs qui ne sont pas nécessairement alignés sur les priorités sociales ou politiques du pays.
Le véritable défi ne serait-il pas, justement, d’investir dans l’administration économique, de former une nouvelle génération de négociateurs, de fiscalistes, de planificateurs, capables de penser et d’exécuter une vision gabonaise du développement ? À trop déléguer, le pays court le risque de ne plus contrôler ni ses décisions, ni son avenir. Le cas Gunvor qui est désormais omniprésent dans le secteur pétrolier en est un autre exemple.