Le regain d’intérêt de l’État gabonais pour la prise de participation dans des entreprises stratégiques semble s’inscrire dans une logique de souveraineté économique. De la reprise d’Assala Energy et Tullow Oil à la création de la BCEG (Banque pour le Commerce et l’Entrepreneuriat du Gabon) ou encore à la montée au capital de CECA-GADIS, la trajectoire est claire, l’État entend redevenir un acteur majeur dans les secteurs clés de l’économie. Toutefois, cette orientation ne semble pas accompagnée d’un cadrage stratégique clair ni d’un débat public sérieux sur les finalités réelles de ces rachats.
Ce que pointe la Banque mondiale dans son dernier rapport, ce n’est pas une opposition idéologique au rôle de l’État, mais une alerte sur les dérives possibles lorsque les objectifs politiques prennent le pas sur la rigueur financière. En effet, les coûts d’acquisition de ces actifs ne sont pas toujours rendus publics, ni même les modalités de leur financement. Cela empêche toute analyse d’impact budgétaire, ce qui est problématique dans un pays aux finances publiques fragiles. L’enveloppe consacrée à ces opérations, plus de 1800 milliards de fcfa, reste opaque et sans stratégie de retour sur investissement.
L’absence de publication régulière des états financiers des entreprises concernées pose un grave problème de redevabilité. Le citoyen contribuable n’a aucun moyen de savoir si ces opérations sont rentables, déficitaires ou simplement politiques. Le FGIS, par exemple, censé incarner l’investissement stratégique de l’État, n’offre que des données générales. Cela ne permet pas d’évaluer la cohérence de ses choix d’investissement. Ce silence comptable affaiblit également la capacité du Parlement à jouer son rôle de contrôle.
Dans les faits, cette stratégie s’apparente davantage à une accumulation d’actifs sans pilotage global, ni évaluation sérieuse des synergies ou des risques associés. L’existence d’un Fichier Unique des Participations (FUP) va dans le bon sens, mais il reste largement inconnu du public et souffre d’un déficit de mise à jour. Tant que la gouvernance de cette stratégie ne sera pas clarifiée, le doute subsistera sur sa viabilité. Ce manque de cap alimente la défiance des investisseurs et fragilise le climat économique général.
Ce que fait la Banque mondiale ce n’est donc pas dénoncer l’État actionnaire en soi, mais de rappeler qu’un tel rôle exige des obligations accrues de transparence, de gestion rigoureuse et de cohérence stratégique. Sans cela, le risque est grand de voir ces participations se transformer en passifs budgétaires colossaux. Et dans un contexte de déficit structurel, chaque prise de participation sans rentabilité mesurée pourrait devenir une bombe à retardement pour les finances publiques.