L’iboga est une plante tropicale composée de plusieurs alcaloïdes dont principalement la tabernantine et l’ibogaïne. C’est la molécule d’ibogaïne qui est la composition privilégiée de l’iboga. En effet, c’est cette dernière qui est responsable de son impact sur l’homme. Pour les uns elle est source d’euphorie et pour une majorité de scientifiques, aujourd’hui, s’accorde sur le fait qu’il s’agit d’une psychédélique pouvant guérir les personnes souffrant de traumatisme et des maladies neurodégénératives.
Cette plante iboga qui a été longtemps proscrite dans plusieurs pays occidentaux notamment aux États-Unis connait un revirement important. Dans la mesure ou de nombreux brevets ont été validés dans ce pays sur les molécules et ses effets cliniques.
De plus, l’État du Texas vient d’ouvrir un financement à hauteur de 50 millions de dollars dans la recherche sur l’ibogaïne. Dès lors, cette plante pourrait, après ces recherches, connaitre une commercialisation importante à travers le monde aux fins de traiter une variété de maladies sans que le Gabon en tire profit.
A titre de rappel, l’ibogaïne peut être fabriqué en laboratoire, il peut être dérivé d’autres espèces, il peut pousser également dans d’autres pays. Toutefois, celui qui pousse au Gabon renferme une complexité chimique naturelle impossible à reproduire ailleurs, en laboratoire ou en nature. Donc, seul celui issu du Gabon a des effets thérapeutiques. Face à ce constat, il est nécessaire que le Gouvernement Gabonais mette en œuvre certains mécanismes juridiques afin que le Gabon bénéficie des potentiels avantages monétaires et non monétaires sur la commercialisation de l’Iboga et ses molécules.
Nous pensons que le Gouvernement pourrait activer cinq (5) leviers en travaillant avec un expert comme M. Yann Guignon dont les travaux sur la question sont nombreux.
1- Appliquer la convention sur la biodiversité biologique (CDB) et le protocole de Nagoya
Pour réguler l’exploitation des plantes à travers le monde, en 1992, les États se sont accordés pour une convention sur la biodiversité biologique. Cette convention a trois objectifs : conserver la biodiversité ; utiliser les ressources durablement ; partager les avantages sur l’utilisation des ressources génétiques.
Quant au protocole de Nagoya, il a pour but de mieux répondre au troisième objectif de la CDB, car il assure une plus grande transparence entre les utilisateurs et les fournisseurs des ressources génétiques.
L’article 6 de ce protocole précise que tout utilisateur des ressources doit solliciter le consentement préalablement donné en connaissance de cause de celle qui fournit.
L’article 5 à son tour précise que le partage des avantages doit être juste, équitable avec le fournisseur et selon les conditions convenues d’un commun accord.
L’article 13 du protocole insiste sur la nécessité de l’utilisateur d’avoir des correspondants nationaux pour délivrer des informations.
C’est dire que deux moyens peuvent être mis en œuvre pour connaitre l’effectivité du protocole de nagoya par rapport à l’iboga afin que le Gabon bénéficie des avantages de sa commercialisation. Premièrement, mettre en place une autorité de contrôle nationale pour surveiller l’utilisation de cette plante et ses dérivés pour faire appliquer le protocole par les utilisateurs internationaux. En second lieu, mettre en place un processus de délivrance d’un certificat d’utilisation de l’iboga.
2- Renforcer l’arrêté n°001/MFEPC/CAB-M du 4 février 2019 portant suspension à titre conservatoire de l’exploitation en République Gabonaise de l’iboga.
Le renforcement de ce texte, à travers une législation abondante, pourrait permettre d’assurer une gestion durable et pérenne de l’iboga mais aussi gérer la délivrance du certificat d’utilisation.
3- Appliquer le traité international sur les ressources pour l’alimentation et l’agriculture de 2004
Ce traité adopté par la FAO en 2004 vise à garantir la conservation et l’utilisation des ressources phylogénétiques, tout en favorisant le partage équitable des avantages qui en découlent. Il reconnait enfin les communautés locales qui ont développé un savoir faire sur l’utilisation des plantes comme l’iboga.
Cependant, pour permettre que ce traité s’applique pleinement, il est nécessaire de mettre en place des législations en interne.
4- Coopération internationale
La coopération internationale à travers un accord bilatéral est également un moyen pour deux États de s’accorder sur un partage équitable des substances d’une plante médicinale.
Dans cet ordre d’idées, le Gabon pourrait ouvrir des discussions avec les États intéressés par l’exploitation de l’ibogaïne (par exemple les États-Unis) pour bénéficier des avantages financiers (versement d’argent pour le développement du pays), des avantages non financiers (partage de connaissance) et un transfert de technologie.
5- Obtenir un certificat d’obtention végétale auprès de l’union internationale pour la protection des obtentions végétales
L’union internationale pour la protection des obtentions végétales est un traité qui donne aux généticiens des droits de propriété intellectuelle sur leurs innovations. Le Gabon est membre de cette organisation par l’intermédiaire de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI).
A cet effet, les communautés locales utilisatrices de l’ibogaïne pourraient entamer des procédures de protection juridique de cette plante au niveau de l’OAPI en sollicitant un certificat d’obtention végétale. Puisque, de notre avis, l’obtention d’un brevet pourrait ne pas être possible du fait qu’il s’agit d’une plante entière mais les effets cliniques de ses molécules sont brevetables. Par contre, la mise sous forme gélule et comprimé de l’ibogaïne par des médecins gabonais devrait permettre de breveter cette composante.
Quoiqu’il en soit, pour prétendre à un avantage financier sur la commercialisation de l’iboga par des utilisateurs internationaux, l’État devrait aussi mettre en place une politique industrielle de plantation de l’iboga pour le vendre directement ou procéder lui-même aux modifications génétiques après acquisition de la technologie.
Eugène Junior Bekale
Juriste