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Ubiquité et discours biface d’un spectacle, Bregeand : « le standup est un art Romantique »

le coup de coeur

Jilkrist Mombo
Jilkrist Mombo
De son vrai nom Jilkrist BINGANA MOMBO, Krist est un critique d'art de 25 ans. En Master recherche de Lettres Modernes, il est également un artiste auteur compositeur. C'est à la croisée de la littérature et de la musique que Krist nous propose des lectures interprétatives des textes de chansons. Depuis février 2022, il est contributeur à Inside News241.

Identifiable à son lyrisme particulier et au chapeau de paille qui couronne ses apparitions, Bregeand est auteur, rédacteur et humoriste. Sous des contours d’actualité et de culture populaire, ses sketchs révèlent un discours lucide qui confine à l’humour « intelligent ». Finaliste du concours international Mon Premier Montreux, lauréat du Prix Jeunes Talents du Rire, nommé au Prix Rfi Talent du rire. Le plus subtil des humoristes gabonais, Bregeand, est assurément un artiste à suivre avec beaucoup d’attention. 

L’Émergernce : une parodie autobiographique

Joué pour la première fois à l’Institut français, le premier One man show (en français seul en scène) de Bregeand est un succès critique et commercial. L’artiste utilise avec une grande dextérité un sujet complexe, emprunté à l’histoire politique du Gabon, et son invitation à découvrir « son plan stratégique pour être à l’abri du besoin » revêt de cette tension entre art et société qui a fait le génie de la littérature du XIXè siècle en France.

En effet, le siècle est une période de bouillonnement politique où la littérature joue un rôle de tribune. Plusieurs textes littéraires tel que Le Rouge et le Noir (Stendhal, 1830) – roman où l’ascension de Julien Sorel dénonce la rigidité sociale et les hypocrisies politiques de la Restauration – font un écho retentissant au projet du comique gabonais : « Le stand-up est un art Romantique », il figure un je qui parle de tous. Ce spectacle est l’autofiction d’un artiste émergent, sans renommée, en mal de stratégie pour s’assurer un avenir en confiance, à l’abri du manque et du besoin. Quête de dépassement de soi face aux défis quotidiens de la vie (l’amour, l’argent, le succès), il est le récit d’un humoriste qui ne serait heureux que lorsque son public serait heureux. Il y explore les racines de ses ambitions et se déploie dans le futur de sa carrière d’artiste humoriste”. Cet extrait évocateur dévoile un discours parodique à double sens, cerné par l’épanchement sentimentaliste et l’engagement portés par les icônes littéraires du XIXè siècle français.  

Un public conquis applaudissent l’artiste pour sa prouesse humoristique.

Une prouesse monumentale : le Flaubert du rire

Selon D. Sangsue, la parodie se présente comme un commentaire en acte, une réécriture volontaire et assumée d’un texte antérieur. Encore faut-il que cette relation soit perçue par le lecteur : « La relation parodique doit donc s’entendre à la fois comme le lien établi entre deux (ou plusieurs) œuvres, et comme le rapport particulier qui se construit entre le lecteur et l’œuvre parodique : reconnaissance de l’hypotexte, comparaison entre le texte ». Sans cette reconnaissance, l’intention parodique disparaît. Si l’on reconnaît déjà à Bregeand une écriture fine, on ne saurait omettre la difficulté de percer le rideau de ce qui est trop savant ou trop référentiel pour en rire. Au fil du sérieux, basculant entre rire et contemplation, le public de l’Émergence (re)découvre une histoire collective écrite au singulier.

Auteur tout-puissant maître des Lettres, Bregeand fait un art venu d’Amérique, dans la langue de Baudelaire, avec un regard « nourri au traditionnel “déti” des punu du Gabon ». Un projet ambitieux d’élévation au dessus de la contemporanéité pour rire de lui-même et de ses peines au milieu de la Comédie Humaine. Comme les personnages de Bouvard et Pécuchet (Flaubert, 1881), il pousse la parodie jusqu’à l’absurde : et lui, si encyclopédique dans son spectacle, se confond aux deux copistes du romans qui essaient toutes les disciplines humaines et échouent, ridiculisant ainsi les prétentions de la bourgeoisie à « tout savoir ». Là se trouve le génie de la réécriture comique !

L’Émergence, édition revue et augmentée : une tournée pour achever mortellement le cycle parodique

En juillet dernier, Bregeand jouait en deux dates la tournée de la réédition de son spectacle. Mise en abyme de son œuvre, celle-ci promet une réécriture de la réécriture. Lors d’une interview préparant cet article, Bregeand nous confie un triste secret :  

« La réédition de mon spectacle est un parti pris esthétique et politique, le fin mot de la chute se trouve dans le titre.  En cette époque, l’artiste – le vrai – est encore plus semblable à l’albatros baudelairien. Il ère, incompris, au milieu d’une machine qui se nourrit à la nouveauté sans fond, sans cesse. Mon propos est que même si je n’écrivais rien de plus à sa première version, je suis, nous sommes tous aujourd’hui, des versions revues et augmentées de ceux que nous étions hier. Et chaque ligne qui nous détache de cet homme ancien que nous étions fait que chaque vanne de mon spectacle est actualisée en même temps que l’oreille qui la percevra différemment, sous le prisme de celui qu’il est à l’instant même de notre échange.

Bregeand, artiste-humoriste gabonais.

En somme, le portrait de Bregeand dessine une figure d’humoriste-écrivain qui place le stand-up dans la continuité des grandes traditions littéraires. À l’instar des romantiques ou des réalistes du XIXᵉ siècle, il transforme le rire en outil de critique sociale et d’introspection. Sa démarche parodique ne se limite pas au détournement comique : elle réécrit et rejoue l’histoire collective en la filtrant à travers l’intime.

Ainsi, L’Émergence illustre combien le stand-up peut devenir une littérature vivante, où chaque spectacle est à la fois texte, réécriture et commentaire du monde. Bregeand se situe dans une filiation qui va de Stendhal à Flaubert : celle d’un artiste qui, par le rire et la parodie, révèle la vérité des sociétés et des êtres. Loin d’un simple divertissement, son stand-up apparaît comme une forme moderne de roman social et poétique, où le  je  devient miroir de tous.

L’acteur et humoriste primé Serge Abessolo est venu soutenir le jeune humoriste Bregeand (droite) lors de son passage sur les planches.

Bregeand jouera son spectacle en Octobre 2025 sur la scène du Tuseo à Brazzaville. Cette exhibition internationale, fait preuve du rayonnement de l’artiste et de la faculté du langage poétique à porter au-delà des références identitaires un discours universel. De même pour ceux de Libreville nous vous invitons à vous abonner à la page de Vapa Scripta pour ne pas manquer les informations relatives au Gala “Rire pour le climat” qui aura lieu à l’Institut Français ce 17 Octobre 2025.

Pour notre part nous sommes heureux de vous proposer de nouvelles chroniques, ne manquez pas de nous laisser un mot d’encouragement (juste en bas dans l’espace de commentaires). 

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