À peine les fondations de la Vème République posées que l’Exécutif gabonais se retrouve face à un dilemme de taille : comment solder le passé sans hypothéquer l’avenir ? La récente décision de libérer l’ancien président Ali Bongo Ondimba et sa famille, suivi de son exil en Angola puis à Londres, suscite autant d’interrogations que d’inquiétudes dans l’opinion. Si ce geste peut apparaître comme un choix stratégique pour refermer un chapitre douloureux, il pourrait aussi fragiliser la légitimité des nouvelles institutions qui semblent ne pas avoir tenu compte des aspirations des Gabonais qui demandent justice et réparations des affres causées par les Bongo.
Un exil au nom de la stabilité de l’État ?
Officiellement, la libération d’Ali Bongo s’inscrit dans une volonté d’apaisement. « Il ne s’agit pas de bâtir le pays par des émotions, mais de construire un avenir sans ressentiment », précise un des soutiens de Brice Clotaire Oligui Nguema, actuel président de la République gabonaise. L’exil en Angola, pays historiquement proche du Gabon sur le plan diplomatique et vers Londres, serait donc une solution diplomatique pour éviter l’embrasement ou la polarisation politique. Mais pour une frange de la population, ce départ sonne comme un non-lieu : pas de procès, pas de vérité, et encore moins de justice. « Laisser Ali Bongo partir sans rendre de comptes, c’est envoyer un message dangereux : que l’impunité demeure la norme », déplore un membre de la société civile de Libreville.
Le risque d’une popularité en chute libre et d’une défiance croissante ?
Alors que la transition vers la Vème République devait marquer une rupture claire avec le régime Bongo, cet exil contraint pourrait coûter cher politiquement. De nombreux Gabonais s’interrogent sur la sincérité des nouveaux dirigeants. « On nous avait promis la transparence et la justice. Ce que nous voyons, c’est encore une fois une élite qui se protège entre elle-même », résume un étudiant. La popularité du pouvoir en place, déjà érodée par les lenteurs administratives et la rareté des signaux forts, pourrait s’effondrer davantage. Les premières fissures apparaissent dans la confiance accordée aux institutions républicaines encore en construction. Le risque ? Une démobilisation citoyenne ou, pire, un rejet de la nouvelle architecture politique.
La Vème République à l’épreuve de la cohérence
L’exil d’Ali Bongo marque-t-il une transition maîtrisée ou une fuite en avant ? Tout dépendra des actes qui suivront. La mise en place d’une véritable justice indépendante, l’ouverture d’un débat constitutionnel inclusif, et la redéfinition du contrat social sont désormais des impératifs. Certains Gabonais se demandent comment Sylvia Bongo et Noureddin Bongo Valentin qui ont été accusés de « Haute trahison contre les institutions de l’État » par la justice gabonaise peuvent-ils être exfiltrés en catimini du pays sans le moindre procès ? « Si le nouveau régime ne veut pas être perçu comme une continuité masquée, il doit agir avec courage et clarté. La rupture ne peut pas être seulement rhétorique », estime un observateur de la vie politique locale. Dans un pays où la mémoire du régime Bongo reste vive, tant par ses excès que par ses réseaux, le pari est risqué. Mais le peuple gabonais, lui, observe. Et attend. Avec vigilance.