L’avènement de la Vᵉ République marque un tournant historique, non seulement sur le plan institutionnel, mais également dans la reconsidération des fondements culturels du pays. Alors que les nouvelles autorités promettent une refondation de la nation, la culture, longtemps reléguée au second plan, se retrouve aujourd’hui au cœur des discours de légitimation politique et de réconciliation nationale. Mais que signifie réellement cette mise en avant de la culture dans le contexte post-transition ? Est-elle un levier de transformation ou un simple outil symbolique de communication politique ?
Une volonté affichée de réhabiliter les fondements culturels
Depuis l’avènement de la Vᵉ République, les discours officiels insistent sur la nécessité de « revenir aux racines ». Le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, a évoqué à plusieurs reprises l’importance de « redonner à la culture gabonaise toute sa place dans la construction nationale ». Il s’agit d’un repositionnement stratégique dans un pays où l’identité nationale a été fragmentée par des décennies de centralisation politique et d’acculturation postcoloniale.
Les initiatives se multiplient : relance des institutions culturelles en sommeil, soutien aux festivals locaux, projets de sauvegarde des langues vernaculaires notamment avec un journal en langues vernaculaires sur Gabon 1ère, la mention de « Nos ancêtres » dans la nouvelle Constitution, la création du Conseil national des rites et traditions du Gabon, ou encore ouverture d’espaces d’expression pour les artistes. Ce réveil culturel est présenté comme un outil de cohésion et de paix dans un pays en quête de repères après les bouleversements politiques récents.
Une culture longtemps négligée et instrumentalisée
Malgré sa richesse ethnolinguistique et spirituelle, la culture gabonaise a souvent été marginalisée par les anciens régimes. Les politiques culturelles ont longtemps été dominées par une logique événementielle, sans véritable stratégie de long terme. Le bwiti, les contes, les arts plastiques ou les danses traditionnelles ont été folklorisés, parfois même stigmatisés.
Des artistes gabonais, comme le rappeur Tris (de son vrai nom Matemba Matemba Lebel Alphand), dénonçaient déjà « le manque de soutien structurel à la création locale et l’absence de politiques de valorisation de notre patrimoine ». C’etait au cours d’une interview accordée à Africa 24 en 2023. La Vᵉ République hérite donc d’un vide qu’elle doit combler, mais aussi d’un scepticisme latent de la part des acteurs culturels, longtemps ignorés.
Un levier potentiel de refondation, à condition d’une politique ambitieuse
Si la culture est désormais brandie comme un pilier de la Vᵉ République, elle ne pourra jouer pleinement son rôle que si elle est accompagnée d’une véritable politique publique culturelle. Cela implique de sortir d’une approche symbolique pour investir concrètement : en infrastructures (théâtres, centres culturels, écoles d’art), en formation, et en accompagnement des artistes. Plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une réforme du ministère de la Culture, avec une meilleure représentativité des acteurs culturels et une décentralisation effective des moyens de mieux façonner et structurer ce paysage culturel. Pour Pierre-Claver Akendengué : « Le Gabon doit puiser dans ses racines pour créer une modernité enracinée. La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité », a-t-il souligné. Vivement que les nouvelles autorités prennent à bras-le-corps cette question.