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Cybersécurité : convergences et divergences dans les approches africaines et européennes

le coup de coeur

Suite à la publication de son ouvrage «Cybercriminalité – La Croisée» en décembre 2022 aux éditions Baudelaire, et dans le cadre du CyberMois 2024, Didier Simba, expert international en cybersécurité, a souhaité partager en exclusivité sur Inside News241 une réflexion approfondie sur les différences de perception des cybermenaces entre l’Europe et l’Afrique. Selon lui, ces divergences résultent de contextes socio-économiques, technologiques et géopolitiques distincts, qui influencent les priorités et les approches en matière de cybersécurité.

Dans cette analyse, l’expert international en cybersécurité met en avant cinq axes de réflexion essentiels, destinés à captiver l’attention des décideurs africains et à éclairer leurs stratégies face aux enjeux croissants de la cybersécurité sur le continent. Lecture.

Axe 1 : Contexte géopolitique et technologique, asymétrie des priorités

🡺 En Europe, les États perçoivent les risques cyber comme une menace stratégique majeure. Les cyberattaques ciblent des infrastructures critiques (énergie, transports, santé), le cyberespionnage entre États et les risques pour la démocratie (ingérence électorale, désinformation) sont des préoccupations centrales. En réponse, l’Union européenne et les États membres ont investi massivement dans des agences de cybersécurité (comme l’ANSSI en France ou le NCSC au Royaume-Uni), des régulations comme le RGPD, et des alliances stratégiques (OTAN, ENISA) pour sécuriser leur cyberespace.

🡺 En Afrique, bien que la prise de conscience progresse, les cybermenaces sont souvent perçues à travers un prisme plus opérationnel et moins stratégique. Les États africains sont généralement plus préoccupés par des menaces telles que la cybercriminalité (fraudes financières, vol d’identité), le piratage d’informations sensibles, et la protection des infrastructures numériques émergentes. De plus, dans un contexte de connectivité grandissante mais inégale, l’accès à internet reste une priorité, ce qui fait que les préoccupations de cybersécurité sont souvent reléguées au second plan face à des défis économiques et d’infrastructures plus pressants.

Axe 2 : Ressources et capacités, écarts dans la réponse aux menaces

🡺 Capacités en Europe : Les États européens disposent de ressources financières et humaines conséquentes pour faire face aux cybermenaces. Ils mettent en place des stratégies nationales de cybersécurité robustes, appuyées par des centres de recherche et développement spécialisés dans la cyberdéfense. Des mécanismes de coopération intra-européens facilitent l’échange d’information, la réponse coordonnée aux incidents, et le développement d’une résilience collective. Par exemple, des exercices tels que Cyber Europe sont organisés régulièrement pour évaluer les capacités de réponse aux crises cyber.

🡺 Capacités en Afrique : De nombreux États africains manquent de ressources humaines spécialisées et de capacités techniques suffisantes pour lutter efficacement contre les menaces cyber. Il existe une pénurie de talents dans le domaine de la cybersécurité, aggravée par des budgets limités et une infrastructure numérique naissante. Toutefois, certains pays africains, notamment le Kenya, le Maroc, l’Afrique du Sud et le Ghana, commencent à investir dans des stratégies nationales de cybersécurité, à créer des CERT (Computer Emergency Response Teams), et à former des équipes dédiées pour gérer les incidents. Malgré cela, le manque de coordination régionale et de ressources reste un défi majeur.

Axe 3 : Perception des menaces, stratégique en Europe, pragmatique en Afrique

🡺 En Europe, les cybermenaces sont perçues comme faisant partie d’une guerre hybride. Les cyberespionnage et cyberattaques sponsorisées par des États étrangers (par exemple, la Russie ou la Chine) représentent une menace existentielle pour les infrastructures critiques et la souveraineté numérique des pays européens. La cybersécurité est vue comme un pilier de la défense nationale, en lien direct avec la protection des intérêts économiques et géopolitiques.

🡺 En Afrique, bien que certains États commencent à reconnaître l’importance stratégique de la cybersécurité, la menace est souvent vue sous un angle pragmatique : il s’agit principalement de protéger les services bancaires, les systèmes de communication gouvernementaux, et de lutter contre la cybercriminalité locale. Les États africains sont en phase de rattrapage technologique, et la cybersécurité est souvent perçue comme un problème opérationnel immédiat plutôt que comme une menace à long terme pour la stabilité nationale.

Axe 4 : Régulation et cadre législatif, un écart à combler

🡺 Europe : Les régulations européennes, telles que le RGPD et la directive NIS2, imposent des normes strictes en matière de cybersécurité et de protection des données. Les entreprises et les administrations doivent respecter des standards élevés sous peine de lourdes sanctions. Cela a encouragé le développement d’une culture de cybersécurité dans l’ensemble de la société, des entreprises jusqu’aux citoyens.

🡺 Afrique : Le cadre législatif en cybersécurité est encore en développement dans de nombreux pays africains. Bien que certaines nations aient adopté des lois sur la protection des données ou la cybercriminalité, l’application de ces lois reste souvent insuffisante en raison de ressources limitées, de lacunes juridiques et d’un manque de coopération régionale. Toutefois, des initiatives régionales telles que la Convention de Malabo visent à harmoniser les efforts et à encourager les États africains à adopter des législations plus robustes en matière de cybersécurité.

Axe 5 : Coopération internationale, des approches différentes

🡺 Europe : L’Europe s’appuie sur des alliances transnationales et régionales pour renforcer sa cybersécurité. La coopération au sein de l’UE, avec des initiatives comme ENISA, permet de mutualiser les compétences et de répondre plus efficacement aux cybermenaces. L’OTAN joue également un rôle clé en intégrant la cybersécurité dans ses capacités de défense collective.

🡺 Afrique : En Afrique, bien que des initiatives régionales existent, la coopération en cybersécurité est encore fragmentée. Certains pays commencent à nouer des partenariats avec des organisations internationales et des pays étrangers pour renforcer leurs capacités (à travers des programmes de formation ou des échanges d’expertise), mais il reste un manque de coordination continentale pour faire face aux cybermenaces transnationales. La création de centres de coopération régionaux serait un pas crucial vers une résilience collective.

En définitive, la perception des risques cyber par les États africains et les États européens est influencée par leur niveau de maturité technologique, leur priorité stratégique, et les ressources disponibles. Si les États européens considèrent la cybersécurité comme un enjeu géopolitique majeur, les États africains la perçoivent plutôt comme un défi opérationnel immédiat à résoudre dans un contexte de développement numérique. Toutefois, à mesure que l’Afrique s’intègre davantage dans l’économie numérique mondiale, il est probable que sa vision des cybermenaces évolue vers une approche plus stratégique et coordonnée, semblable à celle de l’Europe.

Didier Simba

Expert international en cybersécurité

Directeur Général DSTrust

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