Annoncée depuis une décennie, la décentralisation au Gabon franchit enfin une étape formelle avec la première session de la Commission nationale de la décentralisation (CND), prévue du 17 au 18 juin 2025 à Libreville. Placée sous l’autorité du Premier ministre, la CND devra valider les mesures de transfert des compétences élaborées par le Comité Technique. Cette session marque une étape importante dans la mise en œuvre de la loi organique n°001/2014, restée longtemps lettre morte. Toutefois, nombre d’observateurs s’interrogent sur la réelle volonté politique de faire vivre une décentralisation qui ne soit pas simplement administrative, mais véritablement budgétaire et autonome.
Les ambitions affichées par le gouvernement allant de la création d’un fonds de péréquation, l’adoption d’un plan national de transfert des compétences, et l’évaluation des capacités locales, ne sauraient occulter les faiblesses structurelles des collectivités locales. L’immense majorité des communes gabonaises demeurent dépendantes des subventions de l’État central et peinent à assurer des services de base, faute de ressources propres ou de capacités de gestion suffisantes. Dans ce contexte, transférer des compétences sans transférer les moyens revient à créer une illusion d’autonomie.
Au-delà de l’organisation des commissions provinciales et des missions de vulgarisation annoncées, la réussite de la réforme dépendra des arbitrages politiques et budgétaires réels. La centralisation du pouvoir à Libreville, encore fortement enracinée dans la culture politique gabonaise, pourrait freiner la mise en œuvre concrète de la réforme. Comme le rappellait Jules Ndjambou, ancien maire de Port-Gentil et président du Réseau des maires du Gabon dans un entretien accordé à L’Union : « On ne peut pas parler de décentralisation tant que les mairies n’ont pas les moyens de payer ne serait-ce que leurs agents sans l’aide de l’État ».
La crédibilité du processus dépendra donc de la capacité de l’État à opérer une véritable rupture avec le passé. La répartition des ressources du Fonds de péréquation devra obéir à des critères clairs, équitables et vérifiables. L’adoption des décrets de transfert en Conseil des ministres ne devra pas servir à conserver un contrôle vertical mais à encadrer un pouvoir local enfin responsabilisé. Le Centre de suivi et d’évaluation, annoncé comme garant de la mise en œuvre, devra être indépendant pour éviter toute instrumentalisation.
Si la première session de la CND marque un tournant symbolique, elle n’est qu’un jalon dans un long chemin encore semé d’embûches. Le Gabon ne pourra pas réussir sa décentralisation par simple volonté législative : il lui faudra repenser la gouvernance territoriale, assumer une redistribution équitable des ressources et former une nouvelle génération d’élus locaux. Faute de quoi, la réforme restera un exercice technocratique sans impact réel pour les citoyens.