Les branchements sauvages s’étendent comme une toile invisible sur le réseau électrique national. Dans certains quartiers de Libreville, ils serpentent le long des poteaux, disparaissent dans les murs, et se confondent avec les câbles officiels. Pour la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), ces fils illégaux sont synonymes d’hémorragie financière : près de 40 milliards de fcfa s’évaporent chaque année à cause de la fraude.
Ce fléau n’a rien d’anecdotique. Selon son Administrateur-Directeur Général, Steeve Saurel Legnongo, environ 30% de la production d’électricité du pays n’est pas facturée, dont 25% directement liés à des fraudes. Des chiffres vertigineux qui traduisent une perte structurelle pour l’entreprise, mais surtout pour les consommateurs. Car ces milliards envolés, ce sont autant de coupures non réparées, de transformateurs non remplacés, et d’investissements reportés.
La fraude électrique a longtemps eu le visage du branchement sauvage de quartier. Ce temps-là est révolu. Aujourd’hui, elle se fait plus discrète, plus technique, plus rentable. Des compteurs intelligemment trafiqués, des raccordements internes maquillés, des transformateurs pirates installés derrière les murs. On peut le dire la fraude s’est professionnalisée. Certains fraudeurs utilisent même des systèmes de dérivation temporaires qu’ils retirent après les heures de pointe pour échapper aux contrôles.
Face à cette érosion silencieuse, la société a déployé 780 agents spécialisés sur l’ensemble du territoire. Leur mission : repérer, démonter, sanctionner. Les interventions s’accompagnent désormais d’un volet numérique, avec l’introduction de capteurs thermiques et de logiciels d’analyse prédictive capables de détecter en temps réel des anomalies sur le réseau. En parallèle, une campagne nationale de sensibilisation vise à rappeler que la fraude ne punit pas seulement l’entreprise, mais l’ensemble du pays.
Mais la question dépasse le simple cadre économique. Elle renvoie à un rapport ambivalent des Gabonais à l’électricité, perçue à la fois comme un droit social et un service payant. Mais la SEEG est-elle exempte de tout reproche? Lorsqu’une entreprise qui peine à assurer le service essentiel pour lequel elle a été créée et dans le même temps s’octroie des privilèges chiffrés à 50 milliards par an (masse salariale), quel message envoie-t-elle à ses consommateurs? Tout aussi responsable, le gouvernement qui entend dès 2026 renchérir le niveau de taxes sur la consommation d’électricité avec une nouvelle de 9%, devrait prendre la mesure de la situation.
On notera toutefois que ledit gouvernement prévoit une scission de la SEEG en deux entités, une dédiée à l’eau et l’autre à l’électricité. Un comité stratégique aurait déjà été mis en place à cet effet. Reste désormais à savoir si cette stratégie sera la bonne ou si elle créera simplement une hydre à deux têtes qui engloutira chacune des dépenses de fonctionnement extravagantes tout en devenant au passage, une variable d’ajustement d’emplois privilégiés et de nominations sélectives.








