Dans son discours à la Nation prononcé à l’occasion du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance, le Président Brice Clotaire Oligui Nguéma a réaffirmé sa volonté de tourner la page de la géopolitique comme mode de gouvernance. « La géopolitique, comme mode de gouvernance à laquelle nous avons été nourris, n’a pas porté les fruits escomptés. Cela doit prendre fin. Elle sera remplacée par la compétence », a-t-il déclaré. Cette annonce marque une rupture avec un système politique qui, depuis des décennies, a fonctionné sur la base d’équilibres ethno-régionaux plus que sur les critères de mérite et de compétence.
Le système dit de la géopolitique, hérité des premières années du multipartisme dans les années 1990, consistait à répartir les postes de responsabilité entre les provinces afin de maintenir la paix sociale et d’éviter les frustrations régionales. Si cette logique a parfois permis de préserver la stabilité du pays, elle a aussi entretenu une gestion clientéliste et des nominations basées davantage sur l’appartenance régionale que sur les compétences réelles. En conséquence, plusieurs institutions stratégiques se sont retrouvées dirigées non pas par les profils les plus aptes, mais par des personnalités désignées pour satisfaire des équilibres politiques fragiles.
Parmi les exemples les plus emblématiques figure la Mairie de Libreville, régulièrement confiée à des personnalités originaires de la province de l’Estuaire, indépendamment des débats sur leur bilan de gestion. De même, la Primature a longtemps été associée à un ancrage régional particulier, alimentant l’idée que certaines fonctions relevaient d’un « droit coutumier » attribué à des groupes ethniques ou des provinces spécifiques. Cette logique, bien qu’informelle, a nourri un sentiment d’exclusion dans d’autres régions du pays et affaibli l’idée d’une méritocratie nationale.
En rompant avec ce système, le chef de l’État propose un « nouveau concept » dans lequel « la compétence du citoyen primera désormais sur ses origines ethno-régionalistes quand viendra l’heure de choisir l’homme ou la femme à la place qu’il faut ». Cette promesse, si elle est suivie d’effets, pourrait transformer en profondeur la gouvernance gabonaise. Mais elle se heurte à une résistance latente : celle des élites politiques qui ont prospéré grâce à ce système et qui pourraient voir dans cette réforme une menace à leur influence.
La véritable question reste celle de l’application concrète. La fin de la géopolitique ne pourra se matérialiser que si les nominations futures, qu’elles soient à la Primature, aux gouvernorats ou aux grandes régies financières, traduisent une réelle volonté de privilégier la compétence. Sans cette cohérence, l’annonce présidentielle risque de rester perçue comme un slogan. Mais si elle est mise en œuvre, elle pourrait constituer un des tournants majeurs de la Ve République naissante.