Le processus référendaire en cours au Gabon, censé marquer un tournant démocratique, est désormais au cœur d’un scandale financier et moral qui fragilise la société civile. Plus de 200 millions de fcfa, destinés à soutenir la campagne en faveur du «Oui» au projet de révision constitutionnelle, auraient été distribués à des leaders d’associations et organisations civiles. Cependant, ces fonds, censés servir à mobiliser et sensibiliser la population, suscitent de vives critiques, non seulement pour leur opacité, mais aussi pour les accusations de manipulation politique.
Le déversement de ces millions de fcfa est dénoncé par plusieurs acteurs de la société civile, qui s’estiment lésés par la gestion de cette manne. Alors que des fonds ont été alloués à certains leaders, la base, pourtant impliquée dans la campagne, n’a pas vu la couleur de l’argent ni reçu les kits de sensibilisation promis. Cette situation soulève des soupçons de détournement, amplifiés par la perception croissante d’une manipulation politique, où des leaders de la société civile seraient achetés pour garantir un soutien au projet de révision constitutionnelle. Des accusations qui n’épargnent même pas les partis politiques, certains observateurs voyant dans cette manœuvre une tentative de reproduire les méthodes du régime d’Ali Bongo Ondimba, en achetant des soutiens pour préserver le pouvoir.
Une question profonde de légitimité
La question de la légitimité de ce financement reste également un point de friction majeur. L’ensemble de l’opération semble marqué par une gestion floue des fonds, dont la distribution et l’usage sont loin d’être clairs. La distribution inégale des fonds, ainsi que les soupçons de détournements financiers, viennent aggraver une situation déjà complexe, dans laquelle la confiance des citoyens dans l’intégrité du référendum est mise à mal. Au-delà des accusations de corruption, la société civile gabonaise traverse une crise de confiance interne. Si certains acteurs, comme le Copil citoyen, ont salué certaines avancées du projet, notamment l’inclusion de la société civile comme composante essentielle de la démocratie pluraliste, d’autres comme Dynamique unitaire dénoncent un texte qui ne répond pas à leurs attentes politiques et démocratiques.
La question de la séparation des pouvoirs et la crainte d’un «super-président» concentrant tous les pouvoirs sont des points de discorde majeurs au sein des acteurs civils. Lors des débats publics par exemple, les divergences se sont accentuées, notamment entre les partisans du «Oui» et ceux du «Non». La tension a atteint son paroxysme lors d’une émission sur Gabon 1ère, où les divergences se sont clairement manifestées entre deux députés de la Transition Marcel Libama et Geoffroy Foumboula, tous deux figures de proue de la société civile, mais surtout ayant travaillé ensemble au Copil citoyen en 2023. Les échanges houleux ont mis en lumière une fracture de plus en plus profonde entre les leaders civils, certains accusant leurs homologues de trahison ou de renoncement à leurs convictions.
Un tournant pour la gouvernance gabonaise
Ce climat de suspicion, de divisions internes et de gestion douteuse des fonds déstabilise la société civile, qui risque de sortir largement fragilisée de cette campagne référendaire. Si certains groupes ont salué les avancées sociales et les droits consacrés dans le projet de constitution, beaucoup estiment que le texte souffre d’une grave faiblesse en matière de séparation des pouvoirs, et que l’ambition démocratique du projet est largement compromise par la concentration excessive du pouvoir dans les mains de l’exécutif. Les accusations de corruption et de mauvaise gestion des fonds, couplées aux tensions internes de la société civile, mettent en lumière l’état préoccupant de la gouvernance au Gabon.
À un moment où le pays devrait entamer une transition vers une démocratie plus transparente et inclusive, ce référendum risquerait de renforcer plutôt que d’atténuer les fractures politiques et sociales. La question désormais est de savoir si ces révélations et divisions auront un impact sur la crédibilité du référendum, ou si, au contraire, elles contribueront à enterrer l’espoir d’un véritable changement démocratique.