Après les routes, les aéroports, les bâtiments publics… voici désormais la pêche industrielle. En moins de deux ans, le groupe burkinabé Ebomaf s’est imposé comme l’acteur incontournable du paysage économique gabonais, enchaînant les contrats stratégiques à une vitesse exponentielle et parfois inquiétante. Dernier en date : l’usine thonière de sa filiale IB FISH, évaluée à 10 milliards de fcfa. Un projet louable sur le papier, mais qui s’ajoute à une série d’attributions qui donnent le tournis. Faut-il y voir une stratégie industrielle cohérente ou une emprise démesurée de l’entreprise de Mahamadou Bongkourou sur les leviers économiques du pays ?
L’État gabonais semble avoir placé tous ses œufs dans le même panier Ebomaf. De la construction des axes routiers stratégiques (Ntoum–Cocobeach, et bientôt d’autres) aux financements massifs portés par des banques nationales comme BGFI, jusqu’à l’investissement dans des segments non liés comme la pêche, Ebomaf étend ses tentacules à grande vitesse. Cette frénésie rappelle furieusement l’époque Olam, dont l’omniprésence dans l’agro-industrie, les ports, la logistique et même les infrastructures avait fini par poser des problèmes de dépendance structurelle.
Certes, Ebomaf s’affiche comme un groupe africain, ce qui permet d’écarter l’argument facile du néocolonialisme économique. Mais cela ne doit pas masquer une forme de concentration excessive du pouvoir économique, au détriment de la diversité entrepreneuriale et de l’autonomisation des entreprises locales. Le secteur privé gabonais, déjà fragile, se retrouve une fois de plus marginalisé, face à un mastodonte qui rafle les marchés grâce à sa proximité politique et sa capacité de mobilisation rapide des fonds.
Le risque n’est pas qu’économique. Il est aussi institutionnel et démocratique. Car lorsque les grands contrats publics dépendent d’un acteur unique, c’est tout l’écosystème de la commande publique qui bascule dans l’opacité. Les appels d’offres deviennent anecdotiques, les arbitrages biaisés, les contrôles faibles. Et surtout, la capacité de l’État à révoquer ou corriger un contrat devient quasi-nulle, tant le partenaire est devenu… indispensable. Une situation qui rappelle tristement les dérives observées sous Ali Bongo, lorsque Olam dictait à huis clos des pans entiers de la politique économique.
Dans un pays où l’on prétend vouloir restaurer la souveraineté économique, confier à une seule entreprise le développement de secteurs entiers relève de l’incohérence politique, voire d’une forme d’imprudence stratégique. Quelle résilience industrielle peut-on bâtir sans tissu local solide ? Quel modèle de développement laisse-t-on aux jeunes entrepreneurs gabonais, si tout est verrouillé par un opérateur étranger hyper-dominant ? La réponse à ces questions déterminera si cette Transition est réellement celle du changement… ou celle d’un simple changement de bénéficiaires.
Ebomaf aujourd’hui, Olam hier, l’histoire semble se répéter inlassablement. Pourtant, le Gabon avait une chance unique d’échapper à la répétition des erreurs passées. Les décideurs devaient simplement imposer un véritable équilibre économique, en régulant les positions dominantes, en redonnant de la place aux PME nationales, et en garantissant que la diversification ne soit pas qu’un mot, mais un principe de gouvernance. Hélas, le schéma se répète.