Ce qui se joue discrètement à Libreville pourrait bien redessiner les rapports de force entre l’État gabonais et ses propres citoyens. Le 18 juillet 2025, le vice-président du gouvernement, Alexandre Barro Chambrier, a reçu Ismahill Diaby, vice-président et directeur général Afrique de l’Ouest et Centrale de la multinationale américaine Visa. À l’ordre du jour : la digitalisation des services publics, un projet stratégique censé moderniser l’administration et améliorer l’efficacité des services. Mais derrière les discours policés sur la transparence et la traçabilité, le choix de confier à un géant étranger l’ossature numérique du service public pose une question cruciale : à qui appartiendront les données des Gabonais ?
Intégrer des technologies de paiement et d’identification numérique
Dans les grandes lignes, l’accord vise à intégrer des technologies de paiement et d’identification numérique pour automatiser la collecte de taxes, accélérer les décaissements, fluidifier les démarches administratives et instaurer une identité digitale nationale. Autant d’avancées qui semblent, sur le papier, prometteuses. Mais la dépendance technologique à un acteur extérieur comme Visa n’est pas sans risques. L’entreprise américaine aura-t-elle accès aux bases de données fiscales ? À l’identité numérique des citoyens ? Où seront hébergées ces données ? Aucune réponse officielle pour l’instant.
Gains en efficacité, réduction des coûts, transparence administrative…
Du côté du gouvernement, l’argument est de digitaliser, c’est rationaliser. Alexandre Barro Chambrier insiste sur les gains en efficacité, la réduction des coûts, la transparence administrative et l’amélioration de la relation entre l’État et les citoyens. C’est vrai. Mais dans un pays où les systèmes informatiques de l’administration sont encore fragmentés, vulnérables et rarement interopérables, externaliser à ce point revient à céder les clés du système.
Visa, qui s’est fait un nom dans le monde grâce aux cartes bancaires, voit dans ce projet une opportunité de déployer son savoir-faire au cœur des processus publics. Le partenariat est aussi présenté comme un levier de développement économique : simplification des procédures, attractivité pour les investisseurs, création d’emplois liés au numérique.
Une avancée majeure ?
En clair, faire entrer le Gabon dans le club des pays où les flux administratifs et financiers sont digitalisés de bout en bout. Mais cette transformation a un coût : celui de l’alignement technologique sur les normes et intérêts d’un acteur privé international.
Ce projet pourrait être une avancée majeure si le Gabon garde le contrôle technique, juridique et opérationnel sur ses données. Sinon, il ne serait qu’un nouvel épisode d’une dépendance numérique déguisée en modernisation. À l’heure où l’Afrique commence à réfléchir à la souveraineté de ses infrastructures numériques, confier à une entreprise étrangère la gestion des flux publics les plus sensibles revient à sous-traiter une part de sa gouvernance. La vigilance s’impose, car ce que l’on présente comme une solution peut très vite devenir une prison technologique.