« Chronique du règne du roi Brice 1er ». C’est le titre du prochain livre de Janis Otsiemi. Il n’a jamais tenu secret le projet de ce livre puisque nous avons publié sur notre site les premières chroniques qu’il a écrites dès le sacre du Général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema le 4 septembre 2023 au lendemain du coup d’Etat du 30 août. L’auteur avait cessé de publier la suite de ces chroniques pour en faire un récit sur le début du règne du Général-Président qu’il surnomme « roi Brice 1er » sur une période de dix mois. Ce qu’il vient de faire en nous envoyant en exclusivité la couverture et l’intégralité de ce livre qui vient de paraître aux Editions Muse en France et dont les premiers exemplaires en version papier seront disponibles à Libreville en septembre prochain.
Janis Otsiémi est un romancier plusieurs fois primé à l’international, auteur de lettres ouvertes, publiées exclusivement sur Inside News241 dès octobre 2022, exhortant Ali Bongo Ondimba le déchu de ne pas se présenter pour un troisième mandat.
Bonnes feuilles
Portrait du roi
Notre Majesté était un homme athlétique et râblé comme une bille d’Okoumé, ce bois précieux qui faisait la fortune des marchands français dans le royaume. Elle pratiquait les sports et surtout la course à pied au petit matin. Le crâne toujours rasé comme un genou, elle n’avait pas la gueule d’un gendre idéal. Pourtant, elle plaisait aux femmes. Elle le savait. Et savait en jouer. De Notre Futur Souverain, on disait qu’il était besogneux, plein d’énergie à revendre. Il avait le goût de l’ordre et de l’autorité. D’aucuns disaient qu’il avait une propension au pouvoir personnalisé et que dans ses attaques, ses réquisitoires, il était violent, sommaire, excessif. Lucide et pragmatique, des qualités dont il se vantait publiquement, il ne s’embarrassait point d’analyses complexes ou de réflexes. Il n’avait aucun goût pour les dogmes et les dogmatismes. Il n’était point un intellectuel ni un idéologue, chez qui d’ailleurs, il n’avait point bonne presse. Il avait l’âme d’un soldat chevillée au corps. En privé, il était bavard, gouailleur mais aussi le confident, le camarade, le collaborateur toujours disponible, prêt à enfourcher son destrier de bataille.
Le Général-Président, le nouveau Napoléon ?
Comme Napoléon, le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema eut droit à sa marche consulaire. Quelques heures après son coup d’Etat, il fut porté en triomphe par des centaines de soldats de la garde royale en liesse. On les entendit scander : « Oligui président ! » Mais bien plus tard, on se rendit compte que Notre Majesté n’avait rien d’un général Bonaparte des temps modernes car il se montra adepte de l’accord négocié et du compromis, sensible aux principes de stratèges chinois qui enseignaient comment conquérir sans combattre. Il s’en était d’ailleurs enorgueilli dans son discours d’investiture : « C’est sans une violence, sans heurts et sans effusion de sang que le Comité pour la transition et la restauration des institutions a changé le régime en place, qui confisquait le pouvoir des institutions du royaume depuis quelques années, au mépris des règles démocratiques. Cette action patriotique restera sans aucun doute un cas d’école dans les annales de l’histoire. »
Sa cour et ses courtisans
Pendant que le nouveau Premier ministre s’attela à confectionner un nouveau gouvernement, Notre Majesté forma sa nouvelle oligarchie au Palais royal. Il appela à ses côtés le Pr. Guy Rossatanga-Rignault comme secrétaire général du Palais royal. Le Pr. Guy Rossatanga-Rignault lui aussi n’était pas un inconnu des sujets royaux. Ayant longtemps servi dans les soutes de l’administration royale dont il connaissait fort bien la mécanique sous le roi Bongo, il avait déjà occupé ce strapontin sous le règne du roi Ali 1er avant d’être éloigné de la cour royale par le centurion Laccruche Alihanga. Il avait été parachuté ensuite au gouvernement comme ministre de la mer avant d’en être débarqué quelques jours plus tard, raflant au passage la palme de l’un des ministres le plus éphémère d’un gouvernement ! A nouveau à la Cour, le Pr. Guy Rossatanga-Rignault serait le plus proche collaborateur du roi, dont il aura l’oreille, et les ambassades les plus secrètes, les plus délicates et même les plus ignobles de la diplomatie royale seraient de son ressort. Comme Premier valet de chambre de cabinet, Sa Majesté jeta son dévolu sur M. Arthur Lemamy. Le personnage avait l’expérience de l’emploi. Il avait été directeur de cabinet de la présidente de la Cour constitutionnelle. Le poste de second valet de chambre fut alloué à M. Léon Philippe Augé. Il fut naguère conseiller du président déchu Ali 1er. La secrétaire de la chambre privée du roi fut choisie en la personne de Mme Victorine Tchicot. Elle connaissait fort bien les soutes de l’administration royale, elle aussi. Elle fut naguère secrétaire particulière du roi Bongo, conseiller du roi Ali 1er et directrice de cabinet de l’Impératrice Sylvia. On attribuait à tort ou à raison sa fulgurante ascension à ses coucheries. Discrète, secrète, elle savait garder sa bouche sur la vie privée de la famille royale. Ces qualités avaient joué en sa faveur auprès de sa Majesté. Mme de Maintenon était à sa place. Détentrice de tant de secrets royaux, elle disposait maintenant des clés du confessionnal ! Le porte-parolat de l’administration royale fut confié à M. Télesphore Ngomo Obiang. Ce fut un retour au Palais royal car dans une vie antérieure il fut membre de la cellule communication du roi déchu. Parmi les conseillers spéciaux, on remarqua la présence d’un ancien juge à la Cour constitutionnelle, M. Jacques Lebama au département juridique. Puis celle aux départements mines, hydrocarbures et énergie de M. Arnaud Calixte Engandji-Alandji, ancien directeur général de Gabon Oil, ancien ministre du travail, ancien ministre des travaux publics qui s’était éloigné de l’entourage du roi déchu avant de démissionner avec armes et bagages du Parti royal. Quelques autres membres débauchés dans les milieux activistes ou dans les cimetières de l’ancien régime vinrent étoffer l’administration royale.
Le culte de la personnalité du roi
Si au lendemain du coup de force mené par les militaires, les sujets du royaume s’étaient réconciliés avec le fenestron public, Gabon Télévision, ils finirent par déchanter au fil des jours. Les vieilles habitudes avaient la vie dure. Comme sous le régime déchu, le culte de la personnalité battit son plein. Un tiers des reportages du journal télévisé furent consacrés aux activités de Notre Majesté, Grand Sauveur de la Nation devant l’Eternel. Chaque journal télévisé commença 40 par une séquence montrant Notre Majesté accordant une audience à une délégation des dignitaires du royaume, des représentants des organisations patronales ou syndicales… Les gazetiers redevinrent des agents de relations publiques et des propagandistes pour célébrer les hauts faits de Notre Tout Neuf Monarque comme Louis XIV naguère au royaume de France pensionna Boileau et Racine ! Ils témoignèrent là d’une incompétence et d’un manque de professionnalisme qui confinaient au militantisme tant décrié sous l’ancien régime. Et la courtisanerie toucha toutes les couches de la société depuis le putsch du 30 août. On vit fleurir dans chaque hameau, faubourg, bourgade ou duché des comités de soutien à Notre Grand Sauveur de la Nation devant l’Eternel. Qui osa faire entendre une musique discordante ou émettre le moindre doute concernant Notre Majesté n’eut aucune chance d’être entendu et passa pour un esprit chagrin. M. Mitterrand n’écrivait-il pas sur le roi Charles 1er de Gaulle de France : « Il occupe le pouvoir parce qu’il l’a ardemment désiré, patiemment approché, habilement investi, audacieusement saisi. Je ne lésine pas sur l’hommage dû au soldat lucide et courageux qui à l’heure du doute prit parti pour son pays. Je lui dénie le droit de considérer que les services rendus valent inscription d’hypothèque sur la nation. »
La quête mémorielle du roi
Dans son souci d’écrire les pages d’un nouveau roman royal, Notre Majesté se fit champion de la politique mémorielle en allant rendre hommage à son mausolée au roi Mba, fondateur du royaume du Gabon. Personnage controversé, haï, adulé, le roi Mba ne laissait personne indifférent depuis sa mort un demi-siècle plus tôt. Il avait naguère refusé l’indépendance du royaume pour rester sous le joug colonial de Charles 1er de Gaulle de France avant d’y être contraint par la force. 49 Notre Majesté poursuivit son itinérance mémorielle par l’hommage à Franceville au roi Bongo, fondateur de la dynastie. Le roi Bongo dont Notre Majesté fut l’aide de camp durant plusieurs années mourut le 8 juin 2009 à Barcelone en Espagne. Le roi Bongo qui régna sans partage sur le royaume durant quarante-deux ans considéra Notre Majesté comme son « petit-fils ». Elle connaissait tous les secrets du défunt roi. Sur son mausolée, Notre Majesté déposa une couronne de fleurs. Elle fit lentement le tour du tombeau, retira sa casquette d’officier, posa un genou à terre puis l’autre avant de coller son front longuement contre le marbre froid sous l’œil des caméras. A la mort du roi Bongo, la présidente de la chambre des sénateurs, Mme Rose Francine Rogombé assura durant quatre mois son intérim jusqu’à l’élection controversée au trône du prince Ali Bongo. Elle mourut le 15 avril 2015 à Villejuif au royaume de France à l’âge de soixante-treize ans. Notre Majesté se rendit à Lambaréné où elle était enterrée pour s’incliner devant son tombeau. Mais Diantre, quelle stratégie cachait donc Notre Majesté derrière cette politique mémorielle ? Le porte-parole du Palais royal expliqua que « les morts ne sont pas morts, ils sont avec nous. Il était important pour le président de la transition de rendre hommage à ceux qui l’ont précédé. Il est important de s’enraciner dans la culture qui est la nôtre. »
Premiers vœux du nouvel An du roi
Comme le voulait la tradition, Notre Souverain fit ses premiers vœux du 31 décembre à ses sujets. Il n’eut aucune nouveauté. Le discours des vœux de Notre Souverain était enregistré. Installé dans un des nombreux bureaux du palais royal, Notre apparut sur le fenestron public du royaume, le buste immobile, assis devant un pupitre, vêtu de sa tenue rouge d’appart de l’unité de l’élite de la garde royale, deux étoiles sur les épaulettes, le torse bardé de médailles qu’un épicier n’aurait pu compter. Une copie de la Charte de la Transition était opportunément placée derrière lui. A sa droite, il était flanqué du drapeau national et de celui de l’Union africaine duquel le royaume avait été suspendu depuis le 23 septembre. Les yeux rivés sur un prompteur, Notre Souverain ouvrit son oraison par la formule consacrée : « Gabonais, Gabonaises, mes chers compatriotes ». En quelques mots, il fit le service après-vente du coup d’Etat du 30 août puis il prôna l’unité des sujets du royaume en s’inspirant des Saintes Ecritures. Comme on pouvait s’y attendre, il s’autocongratula de son bilan à la tête du royaume :
Un roi bigame
Notre Majesté Brice 1er détournait la restauration des institutions à son profit et à celui des siens. Marié à la reine Zita sous le régime monogamique, Notre Majesté en avait assez de vivre dans la clandestinité avec sa concubine, Mlle Anoucka Avome, que quelques plaisantins appelaient dans les salons feutrés, « Madame de Pompadour », du nom de la célèbre maîtresse du roi Louis XV, épousée par ce dernier secrètement. Profitant de l’intersection parlementaire, Notre Souverain Amoureux convoqua expressément un conseil des ministres et fit modifier d’un trait de plume d’oie l’article relatif au statut particulier des militaires. Ce texte interdisait formellement aux militaires la polygamie. Le nouvel article 40 s’entendit ainsi : « Les militaires sont astreints au mariage monogamiques. Toutefois, les officiers généraux et supérieurs peuvent souscrire à l’option polygamique. Les autres militaires peuvent sur demande expresse, solliciter l’autorisation du Chef suprême des forces de défense et de sécurité pour souscrire à l’option polygamique du mariage. Cette autorisation est accordée après avis favorable du commandant en chef concerné et du ministre de la défense nationale ». La charité bien ordonnée commence par soi-même. 95 jours plus tard, Notre Souverain convola en justes noces avec « Notre Madame de Pompadour » ! Qui mieux que lui aurait pu montrer l’exemple d’un texte de loi taillé à sa mesure ? Ce mariage jeta en pâture la vie privée de Notre Roi dans les gazettes mondaines du royaume. La polygamie de Notre Leader, proche du vaudeville, devint un sujet de société.