La nomination de maître Anges Kevin Nzigou au poste de Coordinateur général du Rassemblement des Bâtisseurs (RDB) est l’un des faits marquants du lancement officiel du mouvement politique d’Oligui Nguema ce 12 mars. Connu pour ses prises de position tranchées contre l’ancien régime Bongo-PDG, l’avocat s’est longtemps illustré par une critique acerbe du système déchu et de la transition jusqu’en novembre 2024, dénonçant notamment la corruption et le manque de transparence dans la gestion des affaires publiques. Sa trajectoire politique a pourtant pris un tournant inattendu lors du référendum constitutionnel de 2024, lorsqu’il a appelé à voter en faveur du « Oui », validant ainsi les réformes portées par la transition. 

Ce changement de posture, que nous qualifions à l’époque de « virage à 360 degrés », s’aligne désormais avec les convictions du parti Pour Le Changement qui se veut un parti progressiste, et se confirme aujourd’hui avec son intégration au sein du RDB. Dans sa tribune diffusée dans plusieurs médias nationaux, Oligui Nguema justifie ce choix en mettant en avant la nécessité de « rassembler des profils capables d’apporter un regard neuf sur la gouvernance du pays ». Selon lui, Anges Kevin Nzigou incarne la rigueur et l’exigence de transparence, deux principes qu’il souhaite voir ancrés dans la gestion des affaires publiques. Et c’est tout à l’honneur des deux hommes, puisque le jeune avocat est connu pour son désir irrépressible de justice, lui qui a défendu son adversaire Brice Laccruche Alihanga face à un régime qui voulait le briser à tout prix.

Pourtant, ce ralliement soulève plusieurs interrogations. Est-il le signe d’une conviction profonde que la transition est sur la bonne voie, ou bien le résultat d’un calcul politique visant à se positionner au plus près du pouvoir en place ? Certains internautes estiment que Nzigou a su percevoir les dynamiques de pouvoir et adapter son discours en conséquence, préférant influer de l’intérieur plutôt que de maintenir une opposition frontale. L’avocat avait déjà été clair à ce sujet dans une interview exclusive accordée à notre rédaction. « Notre parti, le PLC, n’a jamais eu pour vocation de se définir uniquement par l’opposition », confiait-il. On ne peut pas être plus claire. 

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D’un autre côté, ce rapprochement avec Oligui Nguema n’est pas sans risque pour l’image de l’avocat. Si sa présence au sein du Rassemblement des Bâtisseurs peut renforcer la crédibilité du mouvement auprès d’une frange de la population qui aspire au changement, elle pourrait aussi lui coûter une partie de ses soutiens, attaché à une opposition ferme et sans compromis avec un pouvoir encore entaché par la présence de plusieurs anciens hiérarques du pouvoir déchu. En novembre 2024, lorsqu’il avait pris position en faveur du référendum, ses critiques envers le pouvoir de transition s’étaient déjà atténuées, suscitant des doutes sur son positionnement. 

Aujourd’hui, sa nomination à la tête du RDB est interprétée à juste titre comme une acceptation du projet politique d’Oligui Nguema, voire comme une volonté de jouer un rôle de premier plan dans la reconfiguration du paysage politique post-transition. L’enjeu pour Anges Kevin Nzigou sera donc de démontrer  à travers ses actes que son engagement au sein du RDB repose sur une véritable ambition réformatrice et non sur une simple stratégie d’opportunisme politique, comme le lui rappellent ses détracteurs. 

Pour ses partisans, Anges Kevin Nzigou incarne la nouvelle classe politique. Il est donc l’homme de la situation. Par ce choix, non seulement Oligui Nguema fait montre d’une volonté de changer de paradigme politique, mais il rassure une frange de la population qui lui reproche la présence de pédégistes dans son entourage. “Mes sincères félicitations Me ! Nous avons voulu une nouvelle génération de la classe politique Gabonaise. Le Président a été sensible, il vous revient de penser au Gabon en priorité par les actes”, a commenté un partisan du jeune avocat sur sa page Facebook.

Dans le contexte actuel, où de nombreux Gabonais expriment leur méfiance à l’égard des élites politiques, Anges Kevin Nzigou devra relever le défi de montrer que son adhésion au projet d’Oligui Nguema est en phase avec ses convictions profondes et non une compromission. À un mois de l’élection présidentielle, son rôle au sein du RDB pourrait être déterminant pour convaincre une frange de l’électorat encore indécise. Mais la question demeure : saura-t-il conserver son intégrité politique tout en œuvrant aux côtés des pédégistes qu’il dénonçait lors des sorties politiques du parti Pour Le Changement (PLC) ces dernières semaines ?

Dans une tribune publiée le 14 janvier 2025 chez nos confrères de Gabonreview, il rappelait la responsabilité du Parti démocratique gabonais dans la déliquescence du pays. “C’est le Parti Démocratique Gabonais (PDG), avec ses cadres et ses réseaux d’influence, qui porte la responsabilité historique de l’effondrement de nos institutions, de l’appauvrissement de nos populations et de l’affaiblissement de l’État. Pourtant, même après leur échec retentissant, beaucoup de ces acteurs continuent d’être au cœur de la transition actuelle. Ils occupent des postes stratégiques, donnent des leçons de patriotisme et jouissent toujours de privilèges, comme si leurs responsabilités passées n’étaient qu’un détail”, écrivait-il. Désormais à la tête d’une plateforme commune et dans le même camp, finira-t-il par ressembler à ceux avec qui il s’assemble ou réussira-t-il le pari de faire sa part comme le colibri ? Wait and see.