Le Gabon amorce un virage stratégique sous haute pression. Face à une baisse structurelle de sa production pétrolière, le pays a choisi de réorienter sa stratégie vers l’exploration en eaux profondes. Cette ambition repose sur un argument somme toute logique puisque 72% du bassin sédimentaire national demeure encore inexploré. Le gouvernement, appuyé par la Chambre africaine de l’énergie, parie sur une relance par de nouveaux blocs offshore. Le ministre Sosthène Nguema Nguema en a fait un chantier prioritaire, avec pour socle la révision du Code des hydrocarbures. Mais cette dynamique n’est pas sans soulever de sérieuses interrogations.
En effet, pris entre tensions géopolitiques, transition énergétique accélérée et surcapacité de production, le prix du baril varie en permanence. Dans ce contexte, investir massivement dans l’offshore profond, expose le Gabon à une incertitude budgétaire accrue. « Le pétrole offshore peut enrichir un pays ou le piéger dans une dépendance encore plus complexe. Tout dépend de la gouvernance », soulignait Paul Collier, économiste du développement, auteur de The Plundered Planet en 2023. Alors que les majors se repositionnent vers des projets à faible empreinte carbone, le Gabon peine à attirer les meilleurs opérateurs sur ses blocs. Certes, BW Energy, Perenco ou encore Maurel & Prom sont engagés, mais dans une logique de niche ou d’opportunisme géologique. Le pays doit aussi faire face à une concurrence frontale avec des marchés plus avancés comme la Namibie, le Sénégal ou le Mozambique. Et surtout, l’environnement mondial impose de plus en plus de contraintes ESG que l’exploration profonde ne satisfait pas toujours.
Dans ce contexte, le succès de l’offshore profond gabonais dépendra moins des sous-sols que de la qualité du cadre réglementaire. Or, malgré les efforts de réforme, la gouvernance du secteur reste fragile. La Gabon Oil Company (GOC) n’a pas encore les moyens techniques de régulation ni de négociation équitable avec les compagnies pétrolières internationales. Et les populations locales, déjà peu bénéficiaires de la manne pétrolière classique, risquent de rester à l’écart d’une industrie encore plus capitalistique et centralisée.
Il est vrai que le Gabon ne peut ignorer le potentiel de ses eaux profondes. Mais en faire le cœur d’une stratégie énergétique nationale, sans mécanismes de stabilisation ni diversification économique parallèle, serait un contresens historique. Il est temps pour le pays de transformer sa rente fossile en levier de mutation économique, et non en mirage de croissance future. L’offshore profond doit être un outil secondaire et non un pilier central.