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Jean Kevin Ngadi : « quand la solennité s’effiloche, réflexions critiques sur l’investiture du président Brice Clotaire Oligui Nguema » 

le coup de coeur

Le Gabon vient de vivre un moment historique : la prestation de serment du président élu Brice Clotaire Oligui Nguema. Un événement censé incarner le renouveau institutionnel, la restauration républicaine et l’engagement d’un homme devant la nation et l’histoire. Mais, au-delà du faste apparent et de la présence diplomatique remarquée, un regard lucide et rigoureux sur la forme, la symbolique et la cohérence de cette cérémonie s’impose. Car l’image du pouvoir, dans sa première apparition officielle, est un langage. Et celui du 3 mai 2025 a envoyé un signal brouillé, oscillant entre solennité attendue et mise en scène hésitante.

Une cérémonie d’investiture ne saurait être un exercice de remplissage. Elle est un acte codifié, sobre et dirigé vers un seul objectif : officialiser la prise de pouvoir dans un langage de clarté, de symbolique forte et de maîtrise du temps. Or, la cérémonie du président BCON a péché par excès.

La Cour constitutionnelle, au lieu de s’en tenir au strict protocole, a opté pour une théâtralisation inutile de la proclamation des résultats, pourtant déjà rendus publics la semaine précédente. Ce retour en arrière a brisé l’élan du moment. Pire encore, l’intervention intempestive d’un ancien porte-parole politique recyclé en « chef des tradipraticiens » a introduit des éléments rituels confus, mal coordonnés, voire fantaisistes. À travers cette séquence, la tradition a été dévoyée par l’improvisation et l’opportunisme, alors qu’elle devait être un pilier de légitimation.

On ne s’improvise pas gardien des rites. Une cérémonie d’investiture ne doit pas être le théâtre de récupérations symboliques hasardeuses. Elle doit porter l’empreinte des authentiques représentants culturels, et non des arrivistes en quête de légitimité. La tradition a ses lois, tout comme la République a son protocole.

Au-delà de la mise en scène, la nature elle-même a marqué l’événement. Une pluie torrentielle s’est abattue sur la capitale, au moment clé de la cérémonie. Ce n’est pas la première fois qu’un événement majeur présidé par BCON est accompagné d’averses. Et cette fois-ci, elle fut amplifiée par une pleine lune visible au-dessus du ciel gabonais.

Dans nos cultures africaines, la pluie est traditionnellement perçue comme un signe de bénédiction. Elle lave, purifie, consacre. Mais lorsqu’elle devient diluvienne, elle peut également symboliser l’alerte des esprits, un déséquilibre, un avertissement cosmique. Quant à la pleine lune, elle évoque dans de nombreuses traditions – africaines, bibliques, asiatiques – une intensité énergétique, un tournant spirituel, un moment de vérité. Elle éclaire, mais elle révèle aussi les tensions.

Cette double conjonction naturelle pourrait être interprétée comme le signe d’un moment décisif, mais aussi fragile, dense, chargé de forces contradictoires. La parole d’un président, surtout lorsqu’elle engage sa fonction devant Dieu, le peuple et l’histoire, ne souffre ni d’approximation ni de légèreté. Dans le texte de son serment, le président Oligui Nguema a déclaré :

« Je m’engage à conserver toutes mes forces pour le bien-être du peuple gabonais. »

Or, le verbe « conserver » est profondément inadapté à la nature d’un tel engagement. Il suppose une mise en réserve, une attitude passive. Ce que le peuple attend, c’est un président prêt à consacrer et non à stocker son énergie pour la cause nationale. Le terme juste aurait été : « Je m’engage à consacrer toutes mes forces… »

Le président élu de la République gabonaise, Brice Clotaire Oligui Nguema, prêtant serment devant la Nation gabonaise le 3 mais 2025.

Dans l’histoire récente, plusieurs chefs d’État ont dû reprendre leur serment en raison d’erreurs de formulation. Olusegun Obasanjo au Nigeria en 1999 ou encore Thabo Mbeki en Afrique du Sud en 2004 ont procédé à des correctifs symboliques pour restaurer la cohérence de leur serment. Il ne serait donc pas inopportun, ni inédit, que le président gabonais procède à un acte similaire. Le verbe mal choisi peut fausser la substance du contrat républicain.

Parmi les invités de marque figuraient les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame, dont les pays sont en conflit ouvert. L’image de leur poignée de main a suscité des réactions partagées. Si l’intention d’apaisement est louable, la mise en scène fut maladroite.

Paul Kagame, président du Rwanda (gauche) et Félix Tshisekedi, président du Congo (à droite).

Une diplomatie d’image sans fondation réelle est un trompe-l’œil. La paix ne se résume pas à un geste capté par les caméras. Elle s’élabore dans la discrétion, dans la patience des négociations de l’ombre. Le Gabon aurait gagné à activer une diplomatie souterraine, agile, stratégique, et non à s’exposer à un simulacre d’unité entre deux dirigeants en quasi-état de guerre.

L’image est puissante, mais l’acte l’est davantage. La diplomatie gabonaise devra désormais se réinventer sur le terrain de l’efficacité invisible, loin des postures de façade.

Au terme de cette cérémonie, un enseignement majeur s’impose : la gouvernance commence dans la précision des détails, pas dans la démesure du spectacle. Le président Oligui Nguema devra veiller à ne pas céder à la tentation du populisme cérémoniel, cette inflation de gestes, de durées, d’images creuses qui fatiguent sans convaincre.

Ce que le peuple attend, c’est un président efficace, rigoureux, sobre, qui gouverne non par l’effet de foule mais par la force du résultat. L’heure est venue de quitter la politique de la durée pour entrer dans celle de l’impact.

La cérémonie du 3 mai 2025 fut plus qu’une prestation de serment : elle fut un révélateur. Elle a mis en lumière les tensions entre tradition et modernité, entre apparence et efficacité, entre discours et action. Elle rappelle à chacun que la construction d’un pouvoir crédible ne tolère ni amateurisme, ni improvisation, ni confusion rituelle.

Le président Oligui Nguema a devant lui un pays en attente, un peuple en éveil, et une histoire à écrire. Il lui revient désormais de transformer la solennité manquée en lucidité retrouvée.

Jean Kevin NGADI, 

Analyste politique, “stratège, combattant de la liberté réelle du Gabon”.

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