samedi 18 janvier 25
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    Eugène Jr. Bekale : “toutes les PME gabonaises auront-elles dorénavant les marchés publics de moins de 150 millions de fcfa comme annoncé?”

    le coup de coeur

    Dans une tribune exclusive reçue par la rédaction d’Inside News241, l’universitaire Eugène Junior Bekale interroge la loi sur la décision de préférence nationale annoncée par le président de la Transition Brice Clotaire Oligui Nguema, concernant les marchés publics de moins de 150 millions de fcfa. Pour le juriste, en l’état actuel du cadre juridique gabonais, les règles d’attribution des marchés publics s’appliquent à toutes les PME qu’elles soient gabonaises ou non. L’évolution du corpus juridique est un impératif pour faire appliquer cette décision du Chef de l’État. Lecture.

    Il faut préalablement dire que le Marché Public est une composante de la Commande Publique. Qui est l’ensemble des achats réalisés par les services de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les entreprises publiques pour satisfaire les besoins de ces entités ou d’intérêt général par Marché Public, Convention de Concession ou Commande hors Marché. 

    Pour ce qui est des PME gabonaises, il s’agit de toutes les entreprises qui sont la propriété de personnes physiques gabonaises, ainsi que les sociétés dont le capital est détenu pour au moins 51% par des Gabonais et pour lesquelles les fonctions de direction sont effectivement exercées par des nationaux conformément à l’article 3 de la loi n° 1/81 du 08 juin 1981, instituant des mesures administratives et financières propres à promouvoir les Petites et Moyennes Entreprises locales.

    Que dit la loi sur les marchés publics au Gabon ?

    Les marchés publics précisément sont encadrés par le décret n°00027/PR/MEPPDD du 17 janvier 2018. Lequel en son article 5 pose les principes de la commande publique qui sont :

     1- le libre accès des candidats,

     2- l’égalité de traitement des candidats, et 

    3- la transparence des procédures.

    Autrement dit, d’abord, la DISCRIMINATION dans l’accès aux marchés publics est proscrite. Ensuite, l’achat public doit exclure tout traitement de faveur à l’égard des candidats. Enfin, les marchés sont de droit ouvert à la concurrence. Au-delà des modes de passation des marchés publics (appel d’offre et entente directe), l’article 89 du code des marchés publics prévoit que tout candidat (PME gabonaise ou non) doit justifier de ses capacités juridique, technique et financière pour obtenir un marché avec l’État.

    En effet, les PME doivent pouvoir disposer d’un dossier juridique à jour (fiche circuit, paiement des cotisations sociales et fiscales, agrément…). Elles doivent être en mesure de pouvoir justifier l’exécution des marchés similaires dont elles sollicitent. Elles doivent disposer d’un personnel qualifié, produire une garantie bancaire et présenter une déclaration du chiffre d’affaires des trois derniers exercices. Ces mesures légales et nécessaires ne sont pas toujours faciles à présenter pour les PME gabonaises surtout depuis la période de la COVID qui a provoqué plus de difficultés économiques. Ce qui, en pratique, favorise les PME non gabonaises dans l’obtention des marchés de l’État car elles font jouer la solidarité entre elles.

    Les PME non « gabonaises » éligibles aux marchés de moins de 150 millions de fcfa

    Cette présentation laconique du cadre juridique nous conduit à dire que les règles d’attribution des marchés publics s’appliquent à toutes les PME qu’elles soient gabonaises ou non et n’accordent aucune préférence dans l’attribution ou la sollicitation d’un marché de l’État aux PME gabonaises. 

    A cet effet, si un service de l’État (public ou privé) émet une commande de moins de 150 millions de fcfa dans l’état actuel de notre législation, une PME non gabonaise pourrait légalement remporter le marché au détriment d’une PME gabonaise. Dès lors qu’elle présente de meilleures capacités juridique, technique et financière. Ainsi, de nombreuses PME gabonaises ne disposent pas de garantie dans l’état actuel de nos textes pour être prééminentes dans l’attribution des marchés de l’État. Sauf dans le cadre d’un engagement personnel du Chef de l’État.

    Quid des attributions par allotissement, groupement et sous-traitance ?

    Cependant, il existe, dans notre droit actuel, des possibilités d’attribuer des marchés aux PME gabonaises par allotissement, groupement solidaire ou sous-traitance. C’est ce qui a été par exemple fait pour les PME gabonaises dans le secteur des infrastructures routières cette année. En revanche, il ne s’agit pas du point de vue des textes d’une PRÉFÉRENCE NATIONALE, car les mécanismes prévus par le décret n°00027/PR/MEPPDD du 17 janvier 2018 portant code des marchés publics met toutes les PME sur une base égalitaire. 

    C’est dans ce sens que nous estimons que pour que l’annonce du Chef de l’État soit effective et bénéfique à toutes les PME gabonaises exerçant dans différents domaines (alimentation, prestations, construction…), il est impératif de faire évoluer le dispositif législatif et réglementaire des marchés publics, afin que les textes puissent prévoir ostensiblement une préférence des marchés de moins de 150 millions FCFA aux PME gabonaises. 

    Dans ce sens, le gouvernement pourrait s’inspirer du décret n°416/PR du 18 mars 1985 portant code des marchés publics, qui réservait clairement les marchés de moins de 50 millions aux PME gabonaises et les marchés de plus de 50 millions aux grandes entreprises qui sous-traitaient avec les PME gabonaises.

    De la parole à la loi

    Dès lors que le texte établira un impératif à accorder les marchés d’un certain seuil aux PME gabonaises, le doute ne pourrait plus subsister dans le cadre de la transparence, la concurrence ou la liberté d’accès aux marchés publics. 

    Au demeurant, il faut noter de manière générale que la parole d’un Chef d’État n’a de valeur juridique que lorsqu’elle est intégrée dans le corpus juridique étatique. Ainsi, nous pensons que l’annonce faite au profit des PME gabonaises pour qu’elles obtiennent les marchés de moins de 150 millions de FCFA par préférence doit être d’une part réglementée (décret, arrêté, décision…) et d’autre part faire droit à des mécanismes d’accompagnement du Ministère en charge des PME/PMI, comme ce qui a existé entre 1993 et 2010 avec le Fonds d’aide et de garantie des Gabonais (FODEX).

    Eugène Junior BEKALE

    Juriste et universitaire gabonais

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