Le 25 juin dernier, la presse mondiale annonçait qu’un accord entre Gabon Oil Company (GOC) et le fonds d’investissements américain Carlyle, avait été trouvé concernant le rachat total des actifs d’Assala. Dans la foulée, le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, recevait officiellement l’acte du rachat définitif. Cependant, cette opération financière dite de « souveraineté », n’a été rendue possible que grâce à l’appui du suisse Gunvor. Une société au cœur de plusieurs controverses avec notamment des faits de corruption qui lui avaient été reprochés il y a quelques années et dont il est condamné à verser des amendes en 2024.
Négociant en matières premières comptant parmi les plus influents au monde, troisième trader de pétrole brut au monde après Glencore et Vitol, Gunvor Group a aidé à financer l’acquisition par le Gabon d’Assala Energy, désormais ancienne filiale du groupe Carlyle. Une opération de rachat d’actifs dont le processus s’est déroulé en deux phases. Le 15 février 2024 d’abord, avec la signature du contrat d’achat entre Gabon Oil Company (GOC) et l’américain Carlyle garantit par un dépôt d’environ 123 milliards de fcfa, puis le 21 juin dernier, avec un versement de 513 milliards de fcfa et 12 milliards de fcfa de frais de droit de douanes. Un total de plus de 648 milliards de fcfa pour une opération plus politique que stratégique selon de nombreux observateurs.
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En effet, si elle porte sur l’acquisition de plus de 45 000 barils par jour de brut qui pourrait en cas de gestion orthodoxe, permettre au pays de produire plus de 25% de son pétrole, cette opération interroge à plus d’un titre. D’abord parce que en exerçant son droit de préemption en novembre dernier pour contrecarrer les velléités d’expansion de Maurel & Prom, l’Etat gabonais et ses nouveaux dirigeants en treillis, donnait l’impression de disposer d’un trésor de guerre permettant d’autofinancer cette opération. Il n’en est finalement rien. Ensuite, parce que cette opération devrait entraîner le Gabon dans un nouvel engrenage d’endettement avec le suisse Gunvor.
Gunvor, partenaire controversé dans le rachat d’Assala
En effet, impliquée dans plusieurs controverses concernant ses activités dans le secteur pétrolier sud-américain et africain avec notamment des accusations de corruption, Gunvor avait notamment été accusée de participer à des pratiques de corruption dans des transactions pétrolières en République du Congo. Des enquêtes ayant confirmé des liens présumés avec des paiements illicites et des pots-de-vin dans ses opérations. Ajouté à cela, de vives critiques pour son manque de transparence dans ses transactions et ses relations avec différents gouvernements africains et des pratiques opaques, Gunvor n’a pas été épargnée par ces critiques depuis son entrée sur le continent. Il est donc étonnant qu’il ait été choisi pour épauler le Gabon dans une opération présentée comme « historique ».
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Dans un communiqué, l’entreprise suisse ne nie pas les faits qui lui sont reprochés. “Gunvor reconnaît qu’en 2011, son programme de compliance présentait des lacunes, lesquelles ont permis la réalisation d’actes corruptifs, y compris la mauvaise conduite au Congo-Brazzaville que Gunvor a résolue avec les autorités suisses en 2019, ainsi que les activités des anciens employés et représentants en Équateur qui sont aujourd’hui en cause”, souligne le communiqué.
662 millions de dollars d’amendes à payer en 2024
Par ailleurs, selon les informations de l’ONG Public Eye, les affaires de Gunvor au Congo auraient généré un profit supérieur à 100 millions de dollars américains. D’ailleurs, le 28 août 2018, la justice suisse condamnait l’employé Pascal C. pour des faits de corruption en Côte d’Ivoire et au Congo. Ce dernier a avoué à la justice helvète “des faits de corruption touchants notamment la présidence de la République du Congo et les enquêteurs ont pu mettre au jour un système de commissions occultes pour un montant global de 12,84 millions d’euros”.
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Last but not least, en mars 2024, la société suisse de négoce en énergie a été “condamnée à verser 662 millions de dollars aux autorités américaines et suisses dans le cadre d’une affaire de corruption d’agents publics étrangers dans le secteur pétrolier en Equateur”, rapporte le magazine suisse Bilan.
Aussi, Gunvor, troisième trader de pétrole brut au monde après Glencore et Vitol “a accepté la responsabilité des actions de certains de ses anciens représentants et employés” et, selon les termes de l’accord avec les autorités américaines, devra s’acquitter d’une amende de 374 560 071 USD et se verra confisquer 287 138 444 USD, précise l’entreprise dans un communiqué rapporté par nos confrères du média suisse Bilan.
GOC et l’Etat gabonais persona non grata chez certains banquiers internationaux ?
Également pointés du doigt pour les impacts environnementaux et sociaux de ces opérations sur le continent, ses dérives significatives en matière de gestion des communautés locales, Gunvor a jusque-là été au centre de plusieurs controverses liées à ses pratiques commerciales. Des controverses qui n’ont d’ailleurs pas fini de faire couler encre et salive parmi les observateurs et les régulateurs. De constat sur la fiabilité et non sur la viabilité financière de ce partenaire, il ressort un point clé dans cette opération concernant le Gabon, c’est que le pays et sa société nationale des hydrocarbures, semblent persona non grata chez certains banquiers internationaux.
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Obligés de souscrire un crédit de plus de 720 milliards de fcfa auprès du négociant suisse, remboursable sur cinq ans à compter de ce mois de septembre et à concurrence de 12 milliards de fcfa par mois, Gabon oil company (GOC), une entité dont les comptes ne sont même pas certifiés comme le révélait d’ailleurs le rapport ITIE (Initiative de transparence dans les industries extractives) du cabinet Moore Insight en 2023 en marge de la réintégration du Gabon dans l’initiative, le Gabon semble s’être tiré une balle dans le pied.
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Le secteur pétrolier étant extrêmement volatile avec des prix fortement liés aux contextes géopolitiques, les créanciers régionaux et multilatéraux étant à la porte du pays et avec des règlements de dette de l’ordre de 120 milliards de fcfa en moyenne par mois, était-il nécessaire de se mettre une telle pression supplémentaire en période de transition?
Considérant par ailleurs, qu’en cas de défaut de paiement d’une mensualité auprès de Gunvor, les retombées seraient purement et simplement catastrophiques avec des intérêts capables de grimper extrêmement vite. Considérant la voracité de ces traders et leur appétence pour les matières premières du Gabon, cette opération ressemble fortement à celle du Tchad avec Chevron il y a dix ans, partant de la même volonté utopique de reprendre la main sur son secteur pétrolier sans en avoir les rudiments. Une situation d’autant plus inquiétante, qu’en cas de non paiement ou de retard, la solution ne serait autre qu’un paiement « en nature » par des cargaisons de pétrole ou de minerais. Les experts gabonais de l’économie apporteront certainement des éclaircissements sous peu pour clarifier cette situation critique pour le Gabon.