dimanche, octobre 6, 2024
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    Jean Gaspard Ntoutoume Ayi: « la Cour spéciale, fidèle et asservie au pouvoir, fait le procès du Régime »

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    Le mal aurait-il été banalisé au Gabon par nos dirigeants au pouvoir depuis tant de décennies ? C’est ce que tente d’expliquer Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, dans une tribune, en prenant pour prétexte les procès spectaculaires qui ont défilé depuis l’opération Mamba à l’opération Scorpion. Nous publions intégralement ladite tribune.

    « De la banalité du mal. Il y a 60 ans, le 11 avril 1961, le procès de l’ancien dignitaire nazi Adolf Eichmann, responsable logistique de la « Solution finale » pour l’extermination des juifs d’Europe, s’ouvrait à Jérusalem. Lors de son procès, Eichmann, qu’on pense être une bête furieuse et qui devrait laisser une forte impression, montre plutôt l’image d’un banal fonctionnaire parmi des milliers d’autres ; Ce qui fait dire à Hannah Arendt, philosophe juive allemande ayant fui le régime nazi, qui a suivi le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem pour The New Yorker, que le mal ne réside pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves. 

    Pour Arendt, Eichmann n’est ni un criminel né, ni un malade mental, mais un simple rouage d’une machine bureaucratique aveugle, dont les commis ont perdu toute idée d’éthique. N’entendant plus l’impératif catégorique, ces fonctionnaires allemands ont obéi aveuglement aux règlements et aux lois promulguées par un gouvernement légalement élu. C’est la raison pour laquelle Eichmann pouvait affirmer en toute tranquillité, qu’il n’était jamais sorti de la légalité du IIIème Reich.

    Sept mois après l’ouverture du procès, le 11 décembre 1961, le tribunal se réunit pour énoncer son verdict. Devant une salle comble, le président Moshe Landau souligne qu’« Adolf Eichmann s’est rendu coupable de crimes terrifiants, différents de tous les crimes contre les particuliers et qu’il s’agissait en fait de l’extermination de tout un peuple ». « Pendant de longues années, il a appliqué ces ordres avec enthousiasme », précise aussi le tribunal. Quatre jours plus tard, il est condamné à mort. 

    Le 20 juillet 2022, la Cour criminelle spéciale a condamné Patrichi Tanasa à une peine de prison de 12 ans pour détournement de fonds publics. Au dernier jour de son procès qui n’a duré que 3 jours, j’ai été interpellé par ce propos tenu sur un forum WhatsApp par une personne qui avait croisé son chemin : « Tanasa que j’ai connu à MASUKU (Université des Sciences et Techniques de Masuku – USTM)  était un gars sans histoire … ». Comment donc un étudiant décrit à 19 ans comme «un gars sans histoire» est-il devenu à 38 ans ce criminel financier auquel la Cour criminelle spéciale attribue le détournement de plusieurs milliards de Fcfa ?

    La même question pourrait se poser pour Ike Ngouoni, condamné à son tour à une peine de 8 ans de prison. Renaud Allogho, Tony Ondo Mba, Gregory Laccruche, Brice Laccruche et toutes ces autres personnes impliquées dans l’opération « Scorpion » présentent à peu de chose près le même profil et conduisent à la même interrogation : Comment en est-on arrivé là ? Comment en sont-ils arrivés là ?

    La banalité du mal, serait-on tenté de répondre. L’incapacité à entendre l’impératif catégorique. Là où Eichmann affirmait en toute sincérité n’être jamais sorti de la légalité, eux vous opposeront avec la même sincérité avoir obéit aux instructions de la hiérarchie et même n’avoir jamais été repris par cette même hiérarchie, ni les organes et institutions de contrôle que sont les conseils d’administration, les commissaires aux comptes, la Cour des comptes, etc. 

    Et que dire des familles, des amis et des entourages. S’interrogeront-ils un jour ? Au-delà des interrogations, s’indigneront-ils un jour de ce qui se passe sous leurs yeux ? Comment comprendre que l’on reste sans rien dire lorsque votre fils, votre époux ou votre ami vous offre une voiture qui coûte plus de 100 millions de Fcfa ? Une maison de plusieurs centaines de millions de Fcfa ? Ce silence, cette bienveillance participent à banaliser le mal.

    Des milliards de Fcfa ont été détournés des caisses du Trésor pour être mis au service de la conservation du pouvoir par le régime en place. Des femmes et des hommes normaux ont été les instruments de ces détournements avec la certitude que leurs agissements n’avaient rien de blâmable et sans jamais être inquiétés pour cela par les organes et institutions de contrôle dont c’était la mission. Encouragés qu’ils étaient par le silence et la bienveillance de leur entourage.

    La justice les condamne aujourd’hui, en se servant de magistrats eux aussi convaincus qu’en traduisant les instructions de leur hiérarchie ils ne font que leur travail. Eichmann envoya des milliers de Juifs dans les Camps de concentration en toute légalité, nos compatriotes ont versé des milliards de Fcfa d’argent publics à des tiers sur instruction de la hiérarchie, les juges les condamnent à travers des procès bâclés comme jamais sur instruction de cette même hiérarchie. Le régime Nazi est arrivé au pouvoir en 1933 de manière démocratique, Ali Bongo est arrivé au pouvoir en 2009 et s’y est maintenu en 2016 en toute légalité, puisque c’est la Cour constitutionnelle qui en a décidé. Là se trouve la banalité du mal. Là se trouvent les actes du procès qui aura droit au jugement de l’Histoire.

    La vague de procès à laquelle nous assistons n’est autre que l’expression de la nature de ce régime qui ne pourra résister au jugement de l’Histoire. Lorsque les lois d’un pays sont écrites non pour rendre meilleur le vivre ensemble, mais pour asservir le pays aux intérêts d’un pouvoir. Lorsque le bien et le mal n’ont plus place dans la cité et que seul prévaut l’intérêt de chacun, il devient normal, voir banal, de tuer, de prendre des milliards de Fcfa des caisses du Trésor public pour organiser la mobilisation populaire ou financer les caprices d’une première dame. 

    Le propos ici n’est pas de se substituer à la justice pour dire s’ils sont coupables ou non des faits qui leurs sont reprochés. Il n’est pas non plus de se prononcer sur le spectacle nauséeux que nous offre la justice. Patrichi est persuadé d’être une victime, au pire un lampiste. Tout comme le sont ceux qui ont ordonné et exécuté les massacres de 2016 et qui ne sont guère différents de ceux qui, encagoulés, visitent nuitamment les détenus spéciaux de la prison centrale de Libreville. Les juges de la Cour criminelle spéciale ne sont guère différents des Membres de la Cour constitutionnelle dans sa formation de septembre 2016 qui a organisé le maintien au pouvoir de celui qui, de manière indiscutable, avait été rejeté dans les urnes par les électeurs.

    Du 11 avril au 11 décembre 1961, la justice israélienne a fait le procès du régime Nazi à travers, Adolf Eichmann, son fonctionnaire fidèle et appliqué. Au Gabon, en cette année 2022, la Cour spéciale, fidèle et asservie au pouvoir, fait le procès du Régime à travers ces femmes et ses hommes qui se sont mis à son service et sans lesquels il serait tombé. »

    Jean Gaspard Ntoutoume Ayi

    Inspecteur des Finances

    Ancien élève de l’École Nationale d’Administration de France  et de l’Institut de l’Économie et des Finances (IEF)

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