dimanche, octobre 6, 2024
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    Philanthropie : les Gabonais sont-ils égoïstes ?

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    Une des critiques récurrentes adressées à Pierre-Emerick Aubameyang concerne son manque d’engagement philanthropique envers son pays natal, le Gabon. Malgré des revenus substantiels, il n’aurait ni construit ni parrainé d’écoles, d’hôpitaux, de complexes ou de centres sportifs… rien. Cependant, concentrer le débat sur PEA reviendrait à le cloisonner de manière simpliste. Cette question interroge plus profondément la structure même de notre société : sommes-nous, en tant que peuple, culturellement égoïstes ?

    Récemment, je suis retourné visiter mon lycée, un lieu que je n’avais pas revu depuis près de 15 ans, depuis l’obtention de mon baccalauréat. L’état de décrépitude dans lequel se trouve cet établissement m’a poussé à m’interroger : pourquoi, au Gabon, les anciens élèves des écoles, lycées et universités ne contribuent-ils pas au développement de ces institutions ? Ayant eu l’opportunité de séjourner en Europe puis aux États-Unis, j’ai observé une réalité bien différente. Dans ces pays, il est courant de voir une bibliothèque, un laboratoire, une aire de jeux, un véhicule, une machine, voire des bourses financés par d’anciens élèves.

    Prédominance du politique dans les œuvres caritatives

    Au Gabon, je n’ai jamais vécu une telle expérience. Ce que j’ai constaté, comme beaucoup d’entre vous, ce sont des œuvres dites caritatives, mais avec une forte connotation politique. Des personnalités publiques effectuent des dons ostensibles dans leurs villages d’origine, souvent pour renforcer leur notoriété ou embellir l’image de leur parti politique ou de leur association prétendument apolitique.

    Ce qui est encore plus surprenant, c’est la réaction des anciens élèves lorsqu’on tente de les mobiliser pour une action collective. La réponse typique est : « Que fait l’État ? Il y a un budget pour cela, non ? Ils détournent l’argent et ce serait à nous de payer ? Désolé, j’ai mes propres problèmes ». Cette réponse, je l’ai entendue à maintes reprises.

    D’où cette question : sommes-nous égoïstes ? Existe-t-il une prédisposition culturelle ou historique qui nous pousserait à l’être ?

    La culture philanthropique aux États-Unis

    Durant mon séjour aux États-Unis, j’ai réalisé que la philanthropie y est profondément ancrée dans la culture. Les citoyens, y compris les anciens élèves, soutiennent activement leurs universités, écoles et communautés locales par des dons et du bénévolat. Les entrepreneurs, artistes et autres acteurs du paysage socio-économique et culturel multiplient les initiatives pour « rendre à la communauté ».

    Intrigué, j’ai mené des recherches. Il s’avère que l’Afrique est l’une des régions les moins « généreuses » au monde. Parmi les raisons avancées, on retrouve le faible niveau de revenus : les gens se concentrent sur leur famille faute de moyens suffisants ; la défiance envers les autorités locales : déçus par leurs institutions, les citoyens refusent de pallier l’incompétence de ces dernières ; et le manque d’organisation : il existe des personnes prêtes à contribuer, mais les structures capables de canaliser ces contributions de manière efficace sont rares.

    À cet égard, l’initiative lancée l’année dernière par l’influenceuse « Le Journal d’Emeraude », en partenariat avec l’établissement supérieur IMSA, est un exemple éclairant. Cette bourse, visant à financer les études supérieures de 10 jeunes Gabonais en difficulté financière, a rencontré un tel succès que plusieurs particuliers ont envoyé des contributions pour augmenter le nombre de bénéficiaires. Une bienfaitrice, désireuse de rester anonyme, a même offert un million de FCFA.

    Philanthropie, une culture à développer ?

    Le constat est clair : certains Gabonais sont prêts à soutenir des initiatives philanthropiques, mais ne trouvent pas de structures sérieuses pour le faire. Pire encore, notre écosystème sociétal ne semble pas conçu pour encourager ces élans de générosité.

    Notre pays se classe parmi les derniers en termes de soutien reçu de la diaspora. En 2022, selon la Banque Mondiale, les transferts de fonds ne représentaient que 3 % du PIB gabonais, alors que dans d’autres pays, cette proportion est en moyenne trois fois plus élevée. Une étude menée par Africans Rising a révélé que dans des pays comme le Kenya et le Nigéria, environ 40 % des membres de la diaspora participent activement à des initiatives communautaires via des ONG ou des projets locaux. À titre de comparaison, dans les pays d’Afrique de l’Ouest, la diaspora joue un rôle crucial en tant que moteur économique et levier de développement.

    L’argument économique ne tient donc pas. Des pays aux niveaux de revenus similaires au nôtre font bien mieux. Il apparaît donc que ce phénomène est en grande partie culturel.

    L’exemple de l’Afrique du Sud

    En Afrique du Sud, les programmes de bénévolat et les contributions philanthropiques locales ont permis de soutenir plus de 2 000 écoles dans les zones rurales, impactant directement la vie de plus de 500 000 enfants (Source : The National Education Collaboration Trust). Imaginez un programme similaire au Gabon, mettant en relation des enfants en difficulté scolaire avec des adultes prêts à les parrainer. Combien de vies de jeunes Gabonais pourraient être transformées grâce à de telles initiatives ?

    Nous comptons des millionnaires, voire des milliardaires, et nos entreprises réalisent des chiffres d’affaires colossaux, pourtant les initiatives communautaires désintéressées restent rares. Il n’est pas nécessaire que ces gestes soient grandioses. Offrir une imprimante d’une valeur de 65 000 francs CFA ou moins à l’école de votre quartier est déjà un acte significatif ! Il est extrêmement difficile de réunir les Gabonais pour des activités qui ne soient pas liées au divertissement ou au gain d’argent. La seule alternative viable, à mon sens, réside dans la multiplication d’actions individuelles. Que chacun fasse sa part.

    Encourager les projets communautaires

    Henri-Claude Oyima, PDG du groupe BGFIBank, a soulevé un point pertinent lors d’une interview accordée à RFI. Il déclarait : « Il ne faut pas que les gouvernants aient peur des hommes d’affaires. Parce que qui dit homme d’affaires, dit argent, qui dit argent, dit pouvoir. […] Les hommes d’affaires ne sont pas intéressés par la politique. Si nos politiciens comprennent cela, nous avancerons. »

    Pourquoi cette observation est-elle intéressante ? Il est arrivé que des projets communautaires soient entravés par crainte que leur succès n’accroisse la popularité de leurs initiateurs, potentiels adversaires politiques. J’en ai été témoin personnellement. Les autorités locales, à défaut d’exiger que l’action soit réalisée sous l’égide d’un parti politique, multiplient les obstacles administratifs.

    Mais ce n’est là qu’une des nombreuses explications possibles. La question persiste : selon vous, les Gabonais sont-ils culturellement « égoïstes » ?

    Stevy A. OPONG

    Entrepreneur, leader associatif

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