C’est un fait, l’économie gabonaise dépend fortement des revenus issus de l’industrie pétrolière, ce qui la rend vulnérable aux fluctuations des prix du pétrole sur le marché mondial, et peut entraîner une instabilité économique et des difficultés à diversifier l’économie nationale. C’est le constat fait d’ailleurs depuis plusieurs décennies par de nombreux observateurs. En annonçant leur volonté de reprise en main du secteur pétrolier, les nouvelles autorités ont martelé leur ambition d’augmenter d’une part les capacités de la Société gabonaise de raffinage (SOGARA), d’améliorer la gouvernance de Gabon Oil Company (GOC) et d’acquérir la société Assala. Sur ce dernier point c’est désormais chose faite, mais à quel prix?
Pour affirmer leur position et conforter leur ambition aux yeux des populations gabonaises, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) du Gabon, s’est engagé dans une phase cruciale de transformation nationale avec la mise en œuvre de missions stratégiques. Des missions qui visent à « asseoir les fondations d’un État moderne, résilient et en phase avec les aspirations de ses citoyens ». Seulement, ces missions stratégiques, parmi lesquelles le rachat d’Assala, sont effectuées dans un contexte de ralentissement économique étroitement lié à des perturbations logistiques, des incertitudes politiques, des chocs exogènes et surtout de « déséquilibres budgétaires qui se sont considérablement creusés », comme l’affirme d’ailleurs le rapport du FMI de mai dernier.
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Ce contexte particulièrement tendu et exacerbé par une mauvaise gouvernance et des problèmes de corruption, peinent à favoriser une diversification économique soutenue notamment dans les secteurs comme l’agriculture, dont l’activité agricole maraîchère et vivrière n’a généré que 919 millions de fcfa en 2023 et le tourisme qui demeure toujours le moins performant au Gabon en raison de la persistance de nombreux goulots d’étranglement.
Des secteurs qui, pourtant, sont des piliers de l’économie de plusieurs pays africains. Malgré cette situation qui nécessite d’appliquer une stratégie ciblée, le gouvernement a décidé d’engager plus de 636 milliards de fcfa dans le rachat d’Assala. Un montant qui n’intègre pas toutes les variables et qui devrait fortement augmenter compte tenu de la volatilité de ce secteur.
Un acte de souveraineté qui fait peser des risques sur l’économie
Si cette décision « obéit au besoin d’améliorer nos recettes, le niveau des réserves de change du Gabon, par conséquent celui de l’ensemble de la CEMAC, et de créer plus d’emplois » comme l’a récemment souligné le président de la Transition Brice Clotaire Oligui Nguema, c’est son timing qui pose question. D’ailleurs, selon des sources internes à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), « si cette décision avait été prise il y a dix ans, elle aurait été stratégique (…) contrairement à aujourd’hui où elle pourrait renforcer les déséquilibres budgétaires ».
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La dette publique gabonaise étant située à plus de 7000 milliards de fcfa, la note de crédit du Gabon à l’international s’étant dégradée comme en témoigne le Caa2 affublé par Moody’s qui rend la signature du pays « hautement spéculative », était-il opportun de s’engager dans un tel processus en cette période de transition?
Gunvor, un partenaire au passé trouble
Pire encore, en s’associant à Gunvor, un trader éclaboussé par un scandale pétrolier au Congo voisin il y a une dizaine d’années et soupçonné de blanchiment d’argent, face à la méfiance de Vitol et Trafigura, l’Etat gabonais s’est quelque peu mis dans de sales draps, renforçant le sentiment qu’il est désormais aux mains des fonds d’investissements et autres traders.
Partenaire de Gabon Oil Company (GOC), une entité entourée de malversations en tous genres ayant d’ailleurs conduit plusieurs de ses cadres et dirigeants derrière les barreaux sous l’ancien régime d’Ali Bongo, Gunvor laisse planer de sérieux doutes sur cette opération dont on ignore réellement son implication. A-t-elle décaissé la deuxième tranche de 423 milliards de fcfa ayant permis de boucler le deal? A-t-elle seulement apporter son expertise? Difficile à dire.
Gare à l’exemple du Tchad avec Chevron
D’ores et déjà teinté d’opacité à l’heure où les autorités ont été invitées à publier les contrats pétroliers, afin de les rendre accessibles à tous. Cette opération qui s’imbrique aux principes des deals entre traders et gouvernements, avec des prêts octroyés par des négociants qui leur sont remboursés le plus souvent « en nature » par des cargaisons de pétrole ou de minerais tirées de la production future du contractant, en général un État ou la compagnie nationale extractive comme c’est le cas avec GOC et comme l’indiquait une enquête de Jeune Afrique datée de 2021, ce deal présenté comme le deal du siècle pour le Gabon pourrait avoir un effet dévastateur pour une économie déjà fragilisée par des années de gabegie.
Rapporté au cas Chevron au Tchad financé par Glencore, un autre négociant, et qui avait mis à genou N’Djamena, cette transaction qui confirme que l’Etat gabonais est désormais persona non grata chez les banquiers internationaux, interroge bien plus qu’elle ne rassure.