Dans une tribune exclusive reçue par notre rédaction, Francis Mokambo, juriste, s’interroge la position du Chef de l’État, Brice Clotaire Oligui Nguema, à l’aune de la Ve République. Pour le juriste, le président de la République se trouve dans une impasse politique inédite avec l’impossibilité de constituer une majorité parlementaire lors des prochaines élections législatives et locales. En cause l’article 82, alinéa 2 de la loi électorale gabonaise et le statut d’indépendant du président de la République. Lecture.
Une élection historique, un défi institutionnel inédit
Élu le 12 avril 2025 avec un score écrasant de 94,85 % des suffrages exprimés, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema est devenu le tout premier Président de la Cinquième République gabonaise. Ce scrutin symbolique marque l’aboutissement d’une transition majeure initiée après la chute du régime d’Ali Bongo Ondimba, renversé le 30 août 2023.
Cependant, derrière ce plébiscite se cache une question cruciale : comment gouverner durablement sans parti politique ni majorité parlementaire, tout en respectant la loi électorale en vigueur ? Candidat indépendant, le nouveau Chef de l’État fait face à une impasse juridique et politique sans précédent, à la veille d’élections législatives déterminantes pour la consolidation du nouvel ordre institutionnel.
Une Ve République encore en construction
La Ve République gabonaise établit un régime présidentiel fort dans lequel le Président de la République cumule les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement, assisté d’un vice-président dépourvu de pouvoirs exécutifs réels. Cette concentration des pouvoirs suppose, dans les faits, une assise parlementaire solide, condition sine qua non à la mise en œuvre efficace des réformes.
Or, dans un contexte où l’Assemblée nationale est dissoute depuis la transition et où le Président ne dispose d’aucun parti politique, l’architecture même de la gouvernance se retrouve fragilisée. L’absence de majorité parlementaire expose le régime à une instabilité chronique.
Article 82 : un verrou légal problématique
La situation est exacerbée par le cadre juridique actuel. L’article 82, alinéa 2, de la loi électorale gabonaise dispose explicitement : « Tout élu en qualité d’indépendant (…) ne peut, pendant la durée du mandat, adhérer à un parti politique légalement reconnu, sous peine d’annulation de son élection. » Cette disposition, conçue pour éviter les dérives opportunistes post-électorales, devient aujourd’hui un véritable carcan institutionnel. Elle prive le Président d’un levier politique fondamental : la construction d’une majorité parlementaire stable dans un régime à forte prédominance exécutive.
Gouverner sans majorité : une équation à hauts risques
Dans un tel contexte, le Président s’expose à plusieurs risques majeurs :
– Blocages récurrents dans l’adoption des lois ;- Impossibilité d’adopter le budget de l’État ;
– Fragilité institutionnelle propice aux crises ;
– Tensions latentes avec des députés sans alignement politique clair.
Même dans un régime présidentiel fort, l’absence de majorité parlementaire affaiblit considérablement la fonction présidentielle. La majorité n’est pas un simple ornement : elle est une exigence démocratique essentielle à la stabilité et à l’efficacité du pouvoir.
Un cadre légal obsolète et contre-productif
L’article 82 apparaît ainsi dépassé et contre-productif. En interdisant au Président élu comme indépendant d’adhérer ou de créer un parti politique, la loi ne tient pas compte de la nature même des fonctions présidentielles, qui requièrent un soutien politique organisé.
Le Chef de l’État se retrouve donc dans une situation paradoxale : contraint à la neutralité partisane sur le papier, il doit pourtant, en pratique, s’appuyer sur un courant politique pour gouverner efficacement.
Vers des dérives de façade ?
Face à cette impasse, certains envisagent la création d’un « parti de soutien » informel, juridiquement autonome mais contrôlé en coulisses. Bien que techniquement conforme à la loi, cette solution risque de fragiliser la transparence du système politique et d’accroître la défiance de l’opinion publique.
Trois options pour sortir du flou juridique
1. Créer un parti de la majorité présidentielle sans l’adhésion du Président
Le Chef de l’État pourrait encourager ses alliés à fonder un parti dont il resterait officiellement extérieur, ce qui permettrait de disposer d’une base parlementaire tout en respectant l’article 82.
2. Mettre en place une coalition multipartite
Plusieurs partis existants pourraient s’allier pour former une majorité de soutien au Président. Cette option respecte la légalité mais demande un compromis politique constant et une discipline collective rigoureuse.
3. Réviser la loi électorale
Le Parlement ou les autorités de transition pourraient introduire une exception à l’article 82, permettant au Président indépendant de fonder un parti ou d’en rejoindre un. Cette réforme exigerait un consensus politique et juridique solide.
« Le Président indépendant est juridiquement seul, mais politiquement, il ne peut l’être. Le défi est de créer une majorité sans violer la légalité. »
Francis MOKAMBO, Juriste
Vers une nouvelle ingénierie politique gabonaise
Le Gabon est aujourd’hui confronté à un dilemme majeur : faut-il respecter strictement la loi électorale au risque de paralyser la gouvernance, ou bien faut-il adapter le cadre juridique aux exigences concrètes de l’exercice du pouvoir ? Ce paradoxe appelle à inventer un modèle politique cohérent, conciliant rigueur juridique et réalisme institutionnel.
L’épreuve de vérité commence désormais. Il s’agira pour le nouveau pouvoir gabonais de conjuguer indépendance présidentielle et majorité législative, sans trahir ni la lettre ni l’esprit de la loi.
Francis Mokambo
Juriste
🔍Je tiens à saluer la qualité de la réflexion proposée par *M. Francis Mokambo* dans cette tribune. Toutefois, permettez-moi, en tant que praticien du droit, *d’apporter un éclairage complémentaire concernant l’interprétation de l’article 82*, alinéa 2, du Code électoral gabonais…
Ledit article dispose que « *tout élu en qualité d’indépendant (…) ne peut, pendant la durée du mandat, adhérer à un parti politique légalement reconnu, sous peine d’annulation de son élection* ». Cette disposition vise à encadrer le nomadisme politique post-électoral, mais elle ne concerne que l’adhésion à un parti politique existant…
Or, *aucun alinéa de cet article n’interdit à un élu indépendant de créer un nouveau parti politique.* L’adhésion et la fondation sont deux actes juridiques distincts. En droit, *l’interprétation stricte des textes* restrictifs s’impose (principe général du droit public et du Code civil gabonais)…
De plus, le *Président* de la République, élu au suffrage universel direct et relevant d’un *statut constitutionnel distinct* (article 5 de la Constitution gabonaise), *ne saurait être assimilé sans nuance aux autres élus au sens de l’article 82…*
Dans le contexte actuel, le *Chef de l’État* n’est donc nullement empêché, ni par la lettre ni par l’esprit de la loi électorale, de fonder un parti politique en vue des *élections législatives et locales du 27 septembre 2025…*
Il reste bien entendu que cette démarche devra s’inscrire dans les *délais légaux* de dépôt de candidatures et dans le *respect des règles* de transparence politique…
En conclusion, la question soulevée est pertinente, *mais mérite une distinction fondamentale* entre *l’adhésion* et la *création* de parti, ainsi qu’une prise en compte du statut particulier du *Président* dans le régime présidentiel renforcé de la *Ve République…*
*Gildas Didier NDOBA* …
Merci à Monsieur Francis MOKAMBO pour cette interprétation de l’article 82 qui ouvre l’intrigue d’un futur spectacle qui sera ouvert au public lors des législatives… Merci
Très instructif merci
Merci au juriste Francis MOKAMBO pour cette analyse assez inspirante. Cependant, une des solutions qui pourrait être retenue pour faire face à cette ambiguïté serait, pour le président indépendant, de créer un nouveau parti politique. Étant donné que l’adhésion aux partis politiques existant en tant que candidat indépendant est prohibée par l’article 82 de la loi électorale.
Bonjour Mr Francis MOKAMBO!
Je viens de lire ton article sur la présidence sans parti au Gabon, et franchement, chapeau ! Même si je n’y connais pas grand-chose en politique ou en droit, j’ai trouvé ton analyse super claire, intéressante et surtout très instructive.
Tu arrives à expliquer des sujets complexes avec des mots simples, et ça aide vraiment à mieux comprendre les enjeux. J’ai aussi beaucoup apprécié la façon dont tu poses les faits tout en donnant ton point de vue sans langue de bois. C’est courageux et ça mérite d’être salué.
Merci pour ce partage, continue comme ça ! On a besoin de ce genre de réflexion pour faire avancer les choses.