Dans une analyse pertinente sur la gestion des nominations en République gabonaise, l’universitaire Eugène Junior Bekale fait la lumière sur le cadre légal qui encadre cette pratique de l’Exécutif. Il tient tout de même à attirer l’attention sur la politisation et le caractère discrétionnaire des nominations qui induit implicitement quelques dérives comportementales poussant certains citoyens au “Kounabelisme” pour espérer être nommés. Lecture.
La nomination est l’acte administratif par lequel l’autorité compétente, dans notre cas l’exécutif (Président de la République et Gouvernement), use de son pouvoir pour désigner un agent à occuper un emploi déterminé. Le pouvoir de nomination de l’exécutif couvre une pluralité de compétences qui se fonde sur la discrétion de son titulaire. Laquelle se décompose en compétence de désignation et en compétence d’entérinement. Ces compétences embrassent une grande variété d’emplois laissés aux mains de l’Exécutif (les cabinets ministériels, les postes de dirigeant des entreprises publiques, les emplois supérieurs, l’administration, le militaire, la diplomatie, le judiciaire, etc.).
Confusion entre les prérogatives du président et du Premier ministre
En effet, c’est la Constitution qui révèle la latitude du pouvoir de nomination accordée à l’exécutif car la formule vaste retenue par l’article 20 dispose que “le Président de la République nomme, en Conseil des ministres, aux emplois supérieurs, civils et militaires de l’État, en particulier, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires ainsi que les officiers supérieurs et généraux”. L’article 29 du même texte quant à lui établit le pouvoir de nomination du Gouvernement en créant une confusion car il dispose que “le Premier Ministre dirige l’action du Gouvernement”. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 20 susmentionné, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires de l’État.
Ainsi, le pouvoir de nomination dévolu à l’exécutif par la constitution n’est pas limitatif car il n’énumère pas comme c’est le cas en France les postes relevant de cette prérogative. Il faut tout de même éclairer la confusion qui peut résulter de la lecture de ces deux dispositions et établir la répartition de ces compétences.
Une approche discrétionnaire
Il ne fait aucun doute que Premier ministre et les ministres n’exercent qu’un pouvoir délégué (article 29 de la constitution rappelle que c’est sous réserve des dispositions de l’article 20 susmentionné), le pouvoir de nomination est de principe dévolu au Président de la République et concerne les nominations qualitativement et quantitativement importantes, tandis que les nominations secondaires, sont l’apanage des ministres.
Cette approche du pouvoir de nomination est purement discrétionnaire. Il s’agit là d’un des problèmes qui rend le pouvoir de nomination clientéliste dans lequel les meilleurs “atalakouistes” se font récompenser. C’est la raison pour laquelle des textes organiques et règlementaires encadrent ce pouvoir à travers ce que les juristes qualifient de compétence liée.
C’est à cet effet que l’article 125 de la loi n°1/2005 du 4 août 2005 portant statut général de la fonction public précise que la nomination à fonction est l’acte par lequel l’autorité compétente confère à l’agent public un emploi comportant des responsabilités hiérarchiques ou fonctionnelles, conformément aux textes en vigueur. L’article 63 de la loi n° 8/91 du 26 septembre 1991 portant statut général des fonctionnaires encadre encore mieux ce pouvoir en disposant que “les nominations à certaines hautes fonctions de responsabilité, dont la liste est fixée par la loi sont prononcées par décret pris en conseil des ministres sur une liste d’aptitude par spécialité, conformément à la Constitution et aux statuts particuliers et sous réserve que l’emploi en cause existe et qu’il soit effectivement vacant”. En d’autres termes, la désignation d’un agent à occuper un poste est liée à ses capacités et aux respects des textes du domaine d’activité.
Politisation des nominations
Même si la loi encadre le pouvoir discrétionnaire des autorités de nominations, on assiste cependant à une politisation des nominations. C’est ainsi que l’on constate régulièrement la violation du décret n°1379/PR/MFP/MINECOFIN du 29 octobre 1982, portant création de la fonction de Chargé d’études et fixant les conditions d’accès à cette fonction. Puisque selon l’article 2 de ce texte, les Chargés d’études sont des fonctionnaires de la hiérarchie A1 justifiant d’au moins deux années d’expérience professionnelle et au minimum une Maîtrise de l’enseignement supérieur. Ils sont chargés des missions d’étude ou de planification (article 3).
Également dans le cadre de la limitation des prérogatives de nomination, l’article 34 de la loi n°14/2005 du 8 août 2005 Portant code de déontologie de la fonction publique précise que tous les candidats à un emploi public se trouvant dans la même situation doivent faire l’objet d’un même traitement. Il en est de même pour les nominations et les promotions d’agents publics. Ces recrutements, nominations et promotions des agents publics doivent obéir à des critères liés à leur compétence et à leurs aptitudes professionnelles et suivre des procédures transparentes et objectives assurant l’égalité des chances entre les citoyens.
Vers un contrôle du juge administratif ?
Le pouvoir discrétionnaire est par conséquent un problème classique et toujours actuel notamment dans le cadre des prérogatives de nomination de l’exécutif qui échappe dans une certaine mesure au droit qu’il faudrait limiter de plus en plus pour se soustraire des considérations purement politiques et qui ne conduisent pas systématiquement à réaliser l’activité administrative.
Pour ce faire, il faudrait sans doute davantage lier les compétences de nomination de l’exécutif par un contrôle a posteriori du juge administratif. Ce dernier pourrait s’assurer comme il le fait quotidiennement de la légalité des actes administratifs de nomination.
Bien que le recours le plus fréquent auquel doit répondre le juge administratif est le recours pour excès de pouvoir mais son contrôle peut évoluer car les décisions prises dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire n’échappent pas au droit et peuvent également faire l’objet d’un contrôle par le juge.
Eugène Junior Bekale
Juriste et universitaire gabonais