Dans un billet quasi-quotidien, Serge Abslow analyse avec beaucoup de sarcasme les faits de société et les évènements qui chamboulent la vie du Gabonais dans son pays. Le billet du jour est un portrait éclair du nouveau Premier ministre Alain-Claude Billy-Bi-Nze. Lecture en dix points.
1. Si l’on m’avait dit il y a 40 ans, quand j’ai connu ACBBN (Alain-Claude Bilie-By-Nze) par le canal de mes oncles avec qui il était à l’ESCAP, qu’il serait PM du Gabon un jour, je n’aurais pas parié le moindre franc. 10 ans plus tard, une fois à l’université, après qu’il en ait été renvoyé et interdit d’études au Gabon durant 5 ans, j’aurais encore moins risqué de parier le moindre sou sur l’avenir du fils d’Ekowong. Et pourtant, après avoir traversé le désert durant de longues années, tel un phénix, l’homme a su renaître de ses cendres patiemment et méthodiquement.
2. Là où n’importe quel autre Gabonais aurait jeté l’éponge pour se laisser gagner par le découragement, ACBBN à choisi de rester debout et de poursuivre ses rêves de grandeur, convaincu qu’il était d’en avoir les capacités. Il avait juste besoin de temps pour y arriver. Oui, il en avait, des qualités, et chacun de tous ceux qui l’ont côtoyé au collège, au lycée et à l’université, peut en témoigner. Sans être le plus brillant, il était loin d’être le plus bête. C’est même une litote, parce qu’il était en réalité parmi les meilleurs.
3. Mais, comme tout jeune homme trop conscient de ses capacités, son égo surdimensionné lui faisait perdre un peu d’humilité. Au point qu’il pensait que son avis devait toujours s’imposer aux autres. Et ça a fatalement fini par le rattraper. Quand, à la faveur des années de braise du début de la décennie 90, il devint un leader estudiantin, il se brûlera les ailes en voulant trop s’approcher du soleil. La chute sera alors brutale. Manquant de lucidité et emporté par l’impétuosité, il sera freiné dans son élan et cloué au pilori par un acte manqué.
4. Lâché par ses amis, il devient le bouc émissaire d’un crime de lèse-majesté. La sanction est sans appel et la descente aux enfers commence en même temps que le douloureux apprentissage de la résilience. L’homme rumine, nourri par une envie de renaître que la politique va lui donner l’occasion d’exprimer. Il fait la rencontre de Paul Mba Abessole (PMA) qui détecte son potentiel et le prend sous son aile. Mais « Billy the kid » a appris à ne plus se laisser embobiner. A l’ombre du prélat, il apprend les ficelles du métier de politicien en rentrant les crocs.
5. Jusqu’à ce qu’il se sente suffisamment affûté pour voler de ses propres ailes. Auprès d’un père Paul et d’un RNB (Rassemblement national des Bûcherons) déclinants, l’horizon s’assombrit alors pour ACBBN qui veut crever le plafond et prendre sa revanche sur l’histoire. Il intègre le PDG par le jeu des alliances et entame son chemin de rédemption tandis que le père PMA s’essouffle et s’étiole. En dépit de quelques incidents de parcours, il sait que tout est désormais possible dans la galaxie omarienne. Ambitieux, malicieux, et courageux, il séduit dans ce microcosme politique où ces qualités sont rares.
6. Porté par son bagou légendaire, son sang froid et son aplomb en situation de crise politique, il gravit peu à peu les échelons, dans un système souvent en proie à des soubresauts sociopolitiques. Il incarne la jeune garde du parti, prompte à une riposte énergique face à ses oppositions nombreuses. Maître de la rhétorique politicienne, le culot et le cynisme sont sa marque de fabrique. S’il suscite l’ire de l’opposition, il fait la fierté de son camp politique dont il devient le porte-parole et l’un des porte-étendards. Sur tous les fronts de la vie socio-économique, il devient le pompier qui éteint les feux avec un certain succès.
7. Naturellement, en 2009, il est de tous les combats et sur tous les fronts et se révèle par sa pugnacité, comme une valeur sûre de l’échiquier politique. En 2016, il tient dignement son rang et devient l’un des artisans de la conservation à tous les prix d’un pouvoir pourtant chancelant. Mais mal récompensé par les siens après ces 2 élections, il est hélas relégué en arrière plan pour faire la place à la légion étrangère et à la Young team. Mais l’homme est patient et méthodique. Il sait que son heure de gloire est proche. Mais il lui faut renaître de nouveau pour emprunter le sentier de la sanctification.
8. Il doit quitter le porte-parolat du gouvernement qui le confine à la simple fonction de communicant habile mais peu convaincant. Il entame son lifting politique par un effacement en « front office » qui lui fabrique une nouvelle virginité. Il peut dès lors accéder à de plus hautes fonctions politiques que son pédigrée lui interdisait jusque-là. Le poste de ministre des Affaires étrangères lui taillera une stature d’homme d’Etat en seulement quelques années. Mais en une génération, ACBBN est passé d’étudiant contestataire à opposant, puis à jeune loup aux dents longues avant de devenir un cacique du régime Bongo-pdg.
9. Et cette carrière politique vient d’être couronnée par son accession à la fonction de Premier ministre (PM). Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, ACBBN force l’admiration par son parcours politique hors du commun. Il est sans aucun doute l’un des hommes politiques les plus brillants de sa génération. Pour être arrivé à ce niveau où presque personne ne l’attendait et que rien ne le prédestinait, il a su faire preuve d’endurance, de constance et de résilience. Dans la galaxie PDG (Parti démocratique gabonais) aujourd’hui, il faut bien admettre que personne ne mérite mieux que lui d’être porté à cette fonction.
10. Et dans le contexte politique actuel, qui d’autre mieux que lui assumerait de mener pour le compte de la majorité présidentielle, le dialogue politique à hauts risques qui s’annonce face à une opposition en ordre de bataille et bien décidée à porter la dernière estocade à un pouvoir Bongo-PDG affaibli par son leader physiquement amoindri ? Dans cette bataille qui s’annonce épique, le génie politique d’ACBBN se vérifiera-t-il encore ou se fracassera-t-il enfin devant la puissance et la violence de la grogne sociale ? Une chose est certaine, l’homme n’a pas fini de surprendre.
Sarcastiquement vôtre !
Serge Abslow, chroniqueur