La critique d’art est l’art de juger les œuvres de l’esprit à travers une traduction du langage artistique en langage logique. Un exercice auquel se prête chaque semaine avec maestria notre critique, Krist, nous amène à la découverte de la haute culture via la musique dite urbaine, à travers les textes des rappeurs tels qu’Oxmo Puccino, Orelsan, Médine, Nekfeu, Kacem Wapalek, etc. Découverte.
A travers le monde de plus en plus d’artistes musiciens reçoivent des récompenses littéraires : en France Oxmo Puccino s’est vu décoré de la médaille d’officier de l’ordre des arts et des lettres et Bob Dylan du prestigieux Prix Nobel de Littérature. Le présent article se présente comme la première esquisse d’un projet d’écriture portant sur la littérarité des textes de musiques urbaines intitulé Haute Culture. Il s’agit ici de répondre aux questions qu’est-ce que, et pourquoi nous écrivons ?
Une critique musicale fondée sur la littérarité
Dès lors que la littérarité se conçoit comme une approche formelle (des caractéristiques de l’œuvre) et subjective (de l’effet esthétique) du texte qui lui accorde le statut d’œuvre littéraire. Parler d’une littérarité dans les textes de musiques urbaines c’est alors rechercher en eux les marques d’un travail sur le langage permettant de bâtir des ponts entre une herméneutique (science de l’interprétation) des textes de musique à développer et une critique littéraire déjà mature. Ainsi formulée, l’idée d’une herméneutique musicale ne masque pas sa marginalité et sa dépendance au dispositif technique de la critique littéraire. Ainsi, tout y est à écrire.
D’abord , s’il faut envisager une critique musicale fondée sur la littérarité, il faut conséquemment donner à des rappeurs ou autres chanteurs urbains le statut de littérateurs. Cependant cela soulève une redéfinition générique et historique de la littérature qui ne se trouve pas assez d’arguments. On ne peut alors inscrire les chanteurs urbains que dans une catégorie marginal dont eux-mêmes prennent de plus en plus conscience. En effet, en plus d’avoir nommé son album précédant « Poésie d’une pulsion » pour marquer le statut de poésie brute qu’on prête au rap, BB Jacques souligne la poésie de ses textes dans une prétérition qui marque son propos lorsqu’on se rend bien compte que rien avant cette phrase ne lui prête une comparaison avec les rappeurs américains. Écrit-il en ce sens : « j’veux ni faire le poète ni faire l’cainri » pour sous-entendre un statut de poète inassumé. De même, dans un featuring avec Limsa d’Aulnay, Imsa souligne que les chanteurs urbains pratiquent un art marginal parce que associé à son environnement de naissance. Il écrit en ce sens : « j’sais que je n’irai pas loin avec ma putain de littérature de rue ». Mais il y’a aussi ceux qui revendiquent à haute voix la reconnaissance de leur génie littéraire comme Orelsan en 2006 : « dans la nouvelle scène j’suis l’seul qui sort du lot, j’suis l’seul écrivain potable depuis Victor Hugo ».
Ensuite, pour parler d’une une critique musicale fondée sur la littérarité, il faut reconnaître la grandeur stylistique des textes de musiques urbaines. En effet, il faudrait aujourd’hui poser un regard méticuleux sur les procédés d’écriture des chansons qui y donne aux mots son effet artistique au-delà des questions de rythmes et de musicalité. Car le rap affectionne les figures de style : « Ils méprisent la maîtrise, je maîtrise le mépris » écrit Nekfeu, — utilisant ici un chiasme (croisement des deux éléments) et une antanaclase (répétition des termes avec un sens différent), dans une même phrase.
Bâtir des ponts
Le rapport à la langue et à son usage n’est pas anodin dans l’univers du rap : le titre de l’album de Médine intitulé « Prose élite » et sa couverture sont un manifeste de l’importance cardinale d’une écriture soignée dans le rap. Il faut ainsi de la recherche pour manier le langage et utiliser toute la plasticité des mots jusqu’à faire rimer des termes éloignés à l’instar de ce qu’écrit Kacem Wapalek : « J’ai la rime exquise que la rue m’excuse ». Il faut ainsi bâtir des ponts entre les discours sociaux des zones rurales et une écriture élitiste, parnassienne.
Enfin, il faut lire dans les textes de musiques urbaines la survivance et la régénération de la littérature, à travers une réappropriation d’une bibliothèque thématique et citationnelle qui lui est propre. En effet, avec toute leur originalité préservée, les artistes portent dans leurs albums des visions du monde qui ne relève pas en tout point de l’inédit. L’histoire de la musique même se joint à celle de la littérature pour fournir un socle de création solide à ceux qui entreprennent de dire le monde en chanson. Les classiques de littérature tout comme les textes moins connus peuvent ainsi inspirée de manière très explicite les albums de musiques. Le premier projet de l’artiste gabonaise Lewa s’inspire notamment de l’univers d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll et de sa réécriture par Patrick Sénécal qui donne son nom à la deuxième piste du projet : Aliss. Ce type d’écriture qui crie son intertextualité octroie au musicien un statut de commentateur de la littérature : puisqu’il peut lui donner sens comme Solaar qui retire toute sa pudeur au poème de Rimbaud : « Le Dormeur du val ne dort pas, il est mort et son corps est rigide et froid ». Mais aussi, à l’instar du titre Le chien et le flacon de Lonepsi, le promouvoir et l’expliciter comme une postface inattendu où l’art sert l’art.
En conclusion, cette phrase qui clôt le paragraphe précédent résume assez bien la relation entre la musique et la littérature. Prenant toutes deux le langage comme moyen d’expression d’un génie créateur, ces arts échangent et fusionnent dans l’idée d’un simple art d’écrire. Dès lors, la critique ne se sentirait elle pas renouveler en dressant des ponts vers la reconnaissance d’une nouvelle Haute Culture ?
Actualités : Dans le cadre de notre activité artistique, nous avons le plaisir de vous annoncer que nous présenterons un spectacle live le vendredi 8 décembre 2023 à l’occasion des cafés concerts de l’Institut Français du Gabon. Nous y jouerons les chansons de notre premier album de musique She (EP) et celles de IS, notre deuxième projet à venir. Abonnez-vous à nos comptes et restez à l’affût de nouvelles informations!
By KRIST
De son vrai nom Jilkrist BINGANA MOMBO, Krist est un artiste et critique d’art gabonais. Auteur de musique Jazz et passionné par les arts écrits, les articles qu’il propose s’intéressent aux possibilités interprétatives des œuvres d’arts. Il s’agit donc d’utiliser les outils et théories savantes de la critique littéraire pour interpréter des œuvres musicales et autres, afin d’en souligner le génie.