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Critic’Art : « La goutte d’eau qui fait déborder Le monde », dissertation comparée sur des couplets de Farrello et Rodzeng

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La critique d’art est l’art de juger les œuvres de l’esprit à travers une traduction du langage artistique en langage logique. Un exercice auquel se prête chaque semaine avec maestria notre critique, Krist, nous amène à la rencontre de deux talentueux rappeurs gabonais engagés, Farrello et Rodzeng, à travers « La goutte d’eau qui fait déborder le monde« . Découverte.

Partons de l’analyse des mots clés du sujet qui nous intéresse aujourd’hui. L’eau est un élément de la nature indispensable à l’existence des autres éléments qui la composent : elle est présente à 65% dans le corps humain et est indispensable à la constitution de la faune et de la flore. Le monde désigne ce qui est présent dans la nature sensible et la conscience idéologique des hommes : il englobe donc la chose matériel et les idées que l’on peut s’en faire. Déborder est un verbe qui désigne l’action de transgresser une limite normative de quantité ou de qualité, déborder c’est alors franchir la limite de ce qui est consensuellement conçu comme l’ordre des choses : le bon.

Questionner les couplets de Farrello et de Rodzeng sous l’angle d’une « goutte d’eau qui fait déborder le monde » c’est  envisager le liquide précieux  comme symbole d’une controverse, voire d’une  satire prenant pour socle le questionnement suivant : ce qui est bon peut-il ne plus l’être ? 

La menace des eaux 

Si nous acceptons, et encore plus dans le débat écologique présent, que l’eau est précieuse pour l’épanouissement de la vie humaine ; Farrello et Rodzeng remettent en cause cette postulation. A travers leurs textes se dégagent une revalorisation du symbole. Titré la goutte d’eau qui fait déborder le monde, notre corpus défait le caractère inoffensif porté par le groupe nominale « goutte d’eau » qui cède à « la menace des eaux » dans la chanson de Farello et l’eau devient alors un élément capable de danger. Pour opérer cette dévaluation, les textes font cohabiter de manière plus ou moins explicite les champs lexicaux de la mort et de l’eau :

A travers les morceaux suivants : « [Ondes d’eau sinistre], les tilapias vont et viennent à domicile je pêche/pèche » « le poisson se noie dans la mer le fils de la patrie orphelin de mère » ; Si de manière explicite l’eau incarne la mort parce qu’elle est sinistre et que l’on s’y noie, c’est en faisant résonner l’homophonie entre les mots [mer et mère ; pêche et pèche ] que nos deux artistes arrivent à lier les deux champs lexicaux. La mère, qui donne la vie, porte désormais l’image de la mort comme la mer où l’orphelin se noie et le poisson meurt de la pêche comme l’homme meurt du péché.

L’autophagie 

L’autophagie est un mécanisme physiologique, de recyclage d’éléments cellulaires nécessaire à leur renouvellement dans le corps humain. Elle consiste au plus strict de son  étymologie à l’autodigestion des cellules.  Notre corpus utilise également ce concept pour répondre à l’interrogation qui soulève cette analyse. Par le biais d’un raisonnement porté par des métaphores dont nous soulignons la controverse, les textes mettent en lumière la responsabilité de l’homme quant à son propre malheur. Farrello pose dans l’extrait suivant une relation horizontale entre l’eau, l’état et le peuple qu’il désigne par « nous »:  « Matelas mouillé…tout le quartier dans de l’eau. Perchés sur les fenêtres on dirait des poules l’état se repose là c’est l’eau qui nous dépouille »

En effet, la critique faite sur la responsabilité prend son caractère autophage lorsque Rodzeng complète le sens des paroles de Farrello  par ces mots : « Morts d’un profond sommeil nos pleurs sont à l’abris du soleil ; si le peuple dort c’est parce qu’il a mangé le coq qui pouvait le réveiller ». Les métaphores qui associent l’eau et le sommeil à la mort ou le peuple et l’état à des volailles consolident le sens satirique que nous prêtons à ces passages en ce qu’elles mettent en lumière le manque d’engagement d’une société semble-t-il résignée ou un engagement rétroactif à se laisser mourir dans le silence tel un coq rendu inutile au monde par son mutisme volontaire. 

En somme, les couplets de Farrello et Rodzeng  ont la particularité de rendre explicite la force et le pouvoir cachés derrière les plus petites actions. La goutte d’eau qui fait déborder le monde peut s’envisager dans ces textes comme la parole de l’artiste même qui se refuse à une existence insignifiante, morte, noyée sous  un état qui désespère et un peuple qui s’endort face à ses défis. Ainsi, à travers des métaphores et un raisonnement paradoxal et des associations oxymoriques, ils s’insurgent contre l’État et le peuple qui par des actes quotidiens non négligeables se détournent de leurs missions fondamentales et entraînent activement ou passivement le chaos. 

Actualités : Farrello poursuit l’exploitation de l’album RCR avec un nouveau clip d’une très grande qualité et Rodzeng également nous offre le tout aussi ambiancé qu’engagé Seul contre tous. Pour notre part, ce mois marque l’anniversaire de notre premier clip avec la talentueuse Dancy mais aussi une année pleine sans avoir mis de nouvelles chansons en ligne. Nous vous donnons rendez-vous pour très bientôt et vous exprimons le plaisir que vous nous faites à chaque écoute comme à chaque lecture ici.

By KRIST

De son vrai nom Jilkrist BINGANA MOMBO, Krist est un artiste et critique d’art gabonais. Auteur de musique Jazz et passionné par les arts écrits, les articles qu’il propose s’intéressent aux possibilités interprétatives des œuvres d’arts. Il s’agit donc d’utiliser les outils et théories savantes de la critique littéraire pour interpréter des œuvres musicales et autres, afin d’en souligner le génie.

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