Le Dialogue national inclusif prévu le 02 avril prochain au Gabon est, sans conteste, l’événement politique le plus scruté de cette période post-Coup d’État. Présidé par l’archevêque de Libreville, Mgr Jean-Patrick Iba-Ba, ce rendez-vous se veut un jalon essentiel dans la construction d’un Gabon nouveau, libéré des chaînes d’un régime qui a tant divisé. Mais à y regarder de plus près, l’éclat de cette initiative se ternit sous le poids de préoccupations sérieuses, révélant peut-être un tout autre visage de ce « renouveau ».
L’exclusion délibérée de figures clés du paysage politique dans les préparatifs de ce dialogue soulève un premier drapeau rouge. L’éviction de certains acteurs et la désignation arbitraire des représentants des partis politiques par le gouvernement de la Transition ne peut être interprétée autrement qu’une tentative de cadenasser l’issue des discussions. Cette manœuvre, loin d’être subtile, souligne une volonté manifeste de contrôle qui heurte l’idéal d’un dialogue ouvert et sincère.
Où est le Pr Albert Ondo Ossa?
L’absence remarquée du professeur Albert Ondo Ossa, principale figure de l’opposition et vainqueur moral des dernières élections, pose une question fondamentale : peut-on véritablement parler de dialogue inclusif quand le porte-voix de nombreux Gabonais est relégué au second plan ? Ce choix est d’autant plus incompréhensible que ce rendez-vous se voulait un espace de réconciliation nationale et de consensus.
Les inquiétudes se multiplient également quant à la représentation des jeunes, étudiants et autres parties prenantes historiques comme celles ayant participé à la « Conférence nationale » de 1990. Leur exclusion, qu’elle soit intentionnelle ou le fruit d’une négligence, ne fait qu’alimenter le scepticisme quant à la sincérité de l’initiative.
Ce qui sauva la Conférence nationale de 1990
Où sont passés les nombreux contributeurs au débat public sur la Constitution gabonaise et ces compatriotes qui ont combattu le régime qui a obligé les militaires à prendre le pouvoir ? Où est le PhD Joël Mbiamani Ntchoreret, le Pr. Daniel Mengara,… pour ne citer que ces deux-là ? Faut-il rappeler, que Joël Patient Mbiamany N’Tchoreret a produit depuis 2010 plus d’une cinquantaine de publications sur la réforme de la Constitution, le fonctionnement et l’organisation politique de l’Etat Gabonais ? A cela on peut ajouter sa thèse en sciences politiques intitulée : « L’Etat et l’organisation politique, essai d’analyse de la problématique de la démocratie au Gabon« , thèse soutenue à l’Université du Québec à Montréal en octobre 1997 et publiée en 1998.
De son côté, le Pr Daniel Mengara mettait en garde les Gabonais sur l’illusion de la concertation nationale, il y a peu sur son site « Bongo Doit Partir ». Il rappelait à juste titre que ce qui « sauva » en dernier recours la « Conférence nationale » de 1990, c’était sa large ouverture au Peuple. Mais pas n’importe quelle partie du peuple, « les voix discordantes qui s’élevèrent dans le sillage du débat en amont de la Conférence Nationale« . Omar Bongo n’eut pas de choix que de céder « aux revendications pour une large ouverture de la Conférence au Peuple que demandaient les radicaux de 1990« .
Pour le Pr. Daniel Mengara, « la leçon de ce revirement spectaculaire est inestimable pour le peuple gabonais. Car on peut s’imaginer les conséquences politiques à cette époque si quelqu’un s’était organisé pour faire taire les voix discordantes qui demandaient que l’on ouvre la Conférence Nationale à tous ceux qui voulaient y participer par associations et partis politiques interposés. Et ces conséquences auraient été encore plus graves si quelqu’un s’était organisé pour convaincre tous les Gabonais de ne pas déranger l’accord Bongo/Mba Abessole ou de ne pas exiger du régime de céder plus que ce que ce régime semblait prêt à céder« .
Des arrangements « entre copains et coquins » ?
Le général Brice Clotaire Oligui Nguema, Chef de l’Etat et figure de proue de la transition, avait pourtant promis de tourner la page des « arrangements entre amis« . Ironiquement, ce dialogue prend les contours d’une réunion entre initiés, où les véritables enjeux du pays risquent d’être relégués au second plan au profit d’intérêts particuliers.
Faut-il alors voir dans ce Dialogue national inclusif le signe avant-coureur d’un régime autoritaire camouflé, prêt à imposer son ordre sous le voile de la réconciliation ? Ou assiste-t-on à un véritable effort de libération du peuple gabonais de décennies de dictature ? La réponse à cette interrogation est cruciale, car elle déterminera le futur immédiat et à long terme du Gabon.
Avenir prometteur ou énième tromperie politique ?
Dans un climat de méfiance généralisée, il est impératif que ce dialogue retrouve son essence première : celle d’une plateforme authentiquement participative, transparente et réellement inclusive. Faute de quoi, les Gabonais pourraient être les témoins impuissants de la perpétuation d’un système qu’ils aspirent tant à réformer.
Les jours à venir diront si ce dialogue était le prélude à un avenir prometteur ou une énième tromperie politique. Mais une chose est sûre : l’histoire du Gabon est à un tournant décisif, et ce « Dialogue national inclusif » pourrait bien être inscrit en lettres d’or ou d’infamie dans ses annales. Mes mots finissent ici, mais nos conversations se poursuivent. “Okayi vitsi vitsi” (allons-y doucement, ndlr) !