Les promesses de création d’emplois sont omniprésentes dans les déclarations des responsables publics gabonais. L’objectif de réduction du chômage de masse a même été érigé au rang de priorité de l’action gouvernementale par le Président de la République qui s’était engagé devant la nation à créer 10 000 emplois par an [1] en 2017 avant de revoir cet objectif à la hausse en instruisant solennellement, en 2020, le Gouvernement de Madame Rose Christiane Ossouka Raponda de créer 30 000 emplois [2]. Plus récemment, en août 2022, le Président Ali Bongo Ondimba, a de nouveau instruit le Gouvernement de mettre en place un dispositif qui permettrait de créer 100 000 emplois d’auto-entrepreneurs [3]. Cependant, en dépit des discours et de la volonté que semble afficher le Chef de l’exécutif gabonais de réduire le chômage, l’analyse des statistiques nationales relatives à l’emploi montre que le Gouvernement gabonais ne parvient pas à créer des emplois, bien au contraire. La période 2017-2021 a été marquée par le plus grand nombre de destructions d’emplois formels jamais observé dans le pays depuis 20 ans.
16 721 emplois détruits entre 2017 et 2021
Au Gabon, les termes emplois formels désignent les emplois du secteur moderne dont les titulaires sont régulièrement déclarés auprès d’organismes sociaux (CNSS, CPPF et CNAMGS) [4] auprès desquels ils cotisent d’une part et des services fiscaux auprès desquels ils s’acquittent de l’impôt d’autre part. A l’inverse des emplois informels, les emplois formels bénéficient des mécanismes de protection sociale et de la protection légale assurée par le Code de travail qui leur garantit certains droits.
Entre 2017 et 2021, le nombre d’emplois formels enregistrés au Gabon est passé de 200 329 à 183 608 emplois. Le solde net des destructions d’emplois s’est établi à 16 721 unités au cours de cette période, soit un recul de 8,3% sur 5 ans.
Les destructions d’emplois concernent aussi bien le secteur public que le secteur privé formel. Dans le secteur public, 9 457 emplois ont été détruits entre 2017 et 2021 faisant passer les effectifs publics de 109 752 à 100 295 agents soit un recul de 8,6% sur 5 ans. Cette baisse s’explique principalement par le gel des recrutements dans l’administration publique décidé par le Gouvernement et appliqué pendant cette période, le dégrossissement de la main d’œuvre non permanente de l’Etat et le non-remplacement des départs en retraite dans l’administration. Dans le secteur privé formel, 7 264 emplois ont été détruits entre 2017 et 2021. Cette baisse de 8% du nombre d’emplois privés est directement imputable au faible dynamisme économique du Gabon marqué notamment par de faibles taux de croissance de son PIB, le recul de l’investissement public depuis 2017, la crise née du covid-19 qui a affecté l’économie nationale en 2020 et plus généralement par l’environnement des affaires gabonais réputé difficile qui affecte les performances des entreprises.
Les destructions d’emplois simultanées dans le secteur public et dans le secteur privé mettent également en lumière l’échec du Gouvernement qui avait un temps envisagé que les destructions d’emplois dans l’administration publique générée par sa politique de réduction des effectifs publics seraient compensées par des créations d’emplois dans le secteur privé.
L’évolution du nombre d’emplois formels enregistrés dans le pays donne également un aperçu des résultats du plan d’accélération de la transformation (PAT) sur lequel le Gouvernement fonde sa stratégie de relance de l’économie nationale. En effet, on ne peut considérer que les objectifs de relance de l’économie sont atteints alors que d’importantes destructions d’emplois sont enregistrées à l’échelle nationale. Tout au plus, il peut être porté au crédit du Gouvernement un ralentissement des destructions d’emplois en 2020 (-1,4%) par rapport aux années précédentes en dépit du covid-19 et un taux de création d’emplois positif en 2021 (1,2%) du fait de la fin du gel des recrutement au sein de l’administration publique.
Des dépenses salariales en baisse de 61 milliards XAF
Conséquence logique des destructions d’emplois réalisées à travers le pays, la masse salariale injectée annuellement par l’Etat et les entreprises a baissé de 61 milliards XAF entre 2017 et 2021. Cette baisse de 2,8% sur 5 ans entraîne un recul de la consommation des ménages et a un effet récessif sur la croissance du PIB et la dynamique des entreprises. En outre, ce recul de la masse salariale doit être mis en regard de l’inflation qui a fortement augmenté au cours de la période entraînant de fait une baisse du pouvoir d’achat des ménages.
Le recul de la masse salariale est principalement observé au sein de l’administration publique où elle a baissé de 85 milliards XAF (-11,1%) passant de 768 milliards XAF en 2017 à 682 milliards XAF en 2021. A contrario, en dépit de la baisse des effectifs dans le secteur privé, la masse salariale annuelle s’est accrue de 25 milliards XAF (+1,9%) passant de 1309 milliards XAF à 1334 milliards XAF.
Les 15-24 ans, principales victimes du chômage
Les destructions d’emplois enregistrées au Gabon entre 2017 et 2021 ont favorisé un accroissement notable du taux de chômage au niveau national. Ainsi, le taux de chômage estimé à 18,5% par l’OIT en 2017 approche désormais les 22%.
En outre, le chômage n’affecte pas de façon homogène les différentes catégories d’âge. Ainsi, la tranche d’âge la plus affectée par cette hausse du chômage est celle des 15-24 ans dont le taux de chômage a atteint 38,4% en 2021, en hausse de 1,8% par rapport à 2027.
Cette tranche d’âge qui concerne les jeunes et qui inclus notamment les jeunes diplômés demeure la moins bien lotis en termes d’emplois dans le pays et interpelle sur la problématique de l’accession des jeunes à la vie professionnelle qui peine à être résolu en dépit de l’annonce de plusieurs programmes gouvernementaux (à l’instar de 1 jeune 1 métier, Train my Génération ou plus récemment Un taxi, un emploi, un avenir) dont le l’objectif affiché était de réduire le chômage au sein de la population jeune.
Une comparaison entre l’évolution du taux de chômage des 15-24 ans et celui de la tranche des 25 ans et plus permet de mettre en lumière l’urgence qu’il y a à agir pour favoriser véritablement l’emploi des jeunes. En effet, selon les données de l’OIT un écart de 17,8 points séparait les taux de chômage de ces tranches d’âge en 2021, soit un taux de chômage de 38,4% pour les 15-24 ans et de 20,6% pour les plus de 25 ans. En outre, même en période de hausse de chômage, le taux de chômage augmente bien plus rapidement chez les 15-24 ans (+1,8% en 5 ans) que dans les autres tranches d’âge (+1,6% chez les 25 ans et plus par exemple).
Pour conclure
Créer des emplois aujourd’hui au Gabon est une urgence à la fois économique et sociale tant pour le Gouvernement que pour la population. L’Etat est par nature limité dans les volumes d’emplois qu’il peut créer. Il revient donc au secteur privé de porter les créations d’emplois dans le pays. Pour y parvenir, l’accompagnement de l’Etat s’avère indispensable. Ce dernier doit s’engager résolument dans l’amélioration de l’environnement des affaires et l’attractivité du pays, la relance des investissements publics, le remboursement du stock de dettes intérieures pour redonner des marges de manœuvres aux entreprises et favoriser une meilleure insertion des jeunes.
Mays MOUISSI
Analyste, expert des questions économiques, Associé au sein du Cabinet Mays Mouissi Consulting
[1] Cf Discours à la nation du Président de la République Ali Bongo Ondimba du 31 décembre 2017
[2] Cf Discours à la nation du Président de la République Ali Bongo Ondimba du 16 août 2020
[3] Cf Discours à la nation du Président de la République Ali Bongo Ondimba du 16 août 2022
[4] CNSS : Caisse nationale de sécurité sociale
CPPF : Caisse des pensions et des prestations familiales des agents de l’Etat
CNAMGS : Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale
[5] Données reconstituée à partir des Tableaux de bord de l’économie gabonaise (source DGEPF)
[6] Données reconstituée à partir des Tableaux de bord de l’économie gabonaise (source DGEPF)
[7] Données extraites de l’estimation modélisée de l’Organisation internationale du travail (OIT)